Charte de Delphes sur le futur des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe
Texte proposé le 18 avril 2010 et adopté le 30 avril 2010
A l’issue du premier Forum de
Delphes en mai 2006, une
« Déclaration de Delphes » sur les Itinéraires culturels du Conseil
de l’Europe a été adoptée par les participants. Cette Déclaration évoquait la
création de « synergies » entre toutes les parties prenantes
possibles et proposait l’organisation de futures réunions visant à permettre de mieux cerner les responsabilités
liées à la gouvernance des itinéraires culturels ainsi que les besoins
financiers de ce programme.
C’est sur cette base que les gouvernements du Grand-Duché de Luxembourg et de la République Hellénique ont décidé d’organiser un second « Forum de Delphes » sous le titre :
« Les Itinéraires culturels en tant qu’outils pour le dialogue interculturel, le rapprochement des cultures, le développement durable, le tourisme culturel et l’intégration de l’Europe ».
Le but principal de ce Forum étant, dans le respect du Règlement des itinéraires culturels et des Chartes qui lui sont attachées, d’identifier et d’analyser les étapes de la mise en oeuvre de ce programme pour bien en dégager les responsabilités, les modes de gouvernance et les sources de financement.
Placé sous l’égide du Conseil de l’Europe, le Forum a réuni ou reçu des messages des représentants de l’Union Européenne, (Commission Européenne, Parlement Européen), de représentants des pouvoirs locaux, de l’UNESCO, de l’ICOMOS, des ONG impliquées dans les questions touchant au tourisme culturel, des réseaux habilités par le Conseil de l’Europe pour la mise en place des itinéraires culturels, des porteurs de projets de nouveaux itinéraires culturels, des Universités et de leurs étudiants, des représentants de la société civile, des organes d’information, des organismes bancaires et des professions du tourisme.
En dehors de la session plénière, trois tables rondes ont abordé les questions suivantes :
1
Outils et produits touristiques des itinéraires
culturels
2
Tourisme éthique et responsable
3 Le modèle économique pour les itinéraires culturels et la promotion de la destination Europe
Les conclusions qui ont été dégagées de ces présentations et de ces discussions sont données en annexe.
Toutes les étapes de la mise en place des Itinéraires culturels ont été envisagées et illustrées d’exemples concrets, depuis la recherche scientifique, garante d’authenticité et de diversité culturelle, en passant par l’interprétation ouverte de l’histoire et de la mémoire de l’Europe, le développement d’une citoyenneté européenne à dimension interculturelle par le voyage, tout particulièrement en direction des jeunes et le développement d’un tourisme durable, social et fondé sur des règles éthiques.
Les bases économiques des itinéraires culturels et plus généralement du tourisme culturel ont également fait l’objet d’une réflexion fondée sur les situations concrètes de coopérations entre secteur privé et secteur public, ainsi que sur l’expérience des professionnels du tourisme et du secteur économique en général.
Tous les participants ont souligné :
1-
Le succès croissant du programme aussi bien par le
développement constant des itinéraires culturels ayant déjà reçu une mention
que par le nombre de propositions de qualité ;
2-
Le rôle essentiel des itinéraires culturels pour la
protection et la valorisation du patrimoine dans la mise en œuvre d’un tourisme
durable ;
3-
L’importance du programme face aux nécessités accrues
de dialogue interculturel fondé sur une rencontre concrète de l’Autre au
travers de ses valeurs patrimoniales ;
4-
L’importance économique du programme en terme de
développement local et territorial et son rôle pour faciliter le dialogue
social ;
5-
La richesse du programme en ce qui concerne la mise en
œuvre concrète des valeurs et des priorités politiques des institutions
européennes ;
6-
L’importance du programme en ce qui concerne les enjeux
de développer la cohérence et le succès touristique de la Destination
Europe ;
7- L’importance du programme pour le dialogue euro méditerranéen.
Il en résulte un certain nombre
de recommandations et de remarques :
Recommandations :
Afin de renforcer la cohérence et la visibilité du programme des itinéraires culturels et de lui donner les moyens financiers dont il a besoin, les participants recommandent :
En ce qui concerne les financements :
1-
La mise en place dans le cadre des Accords de
coopération bilatérale des pays membres du Conseil de l’Europe et de l’Union
Européenne de lignes budgétaires permettant des échanges et des synergies entre
les responsables des itinéraires culturels ainsi que des financements leur
permettant de bénéficier d’une assistance accrue de l’Institut Européen des
Itinéraires culturels ;
2-
Une coopération renforcée entre le Conseil de l’Europe
et la Commission Européenne, visant tout particulièrement la création d’un
Accord Partiel élargi sur les itinéraires culturels ayant son siège à
Luxembourg dans les locaux de l’Institut Européen des itinéraires
culturels;
3- Une mobilisation de tous les pays signataires de la Convention Culturelle Européenne pour la création d’un Accord Partiel élargi sur les itinéraires culturels.
En ce qui concerne la gouvernance :
4-
La mise en place pour l’Accord Partiel élargi d’un
Conseil de direction, composé des Etats membres participant aux financements,
d’un représentant de l’Assemblée Parlementaire et du Congrès des Pouvoirs
locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, des Directions Générales de la
Commission Européenne concernées et des Commissions du Parlement Européen
concernées
5-
La mise en place d’un Comité consultatif composé des représentants des
réseaux des itinéraires culturels, des collectivités locales et régionales, des
organisations et plateformes internationales du patrimoine et du tourisme, des
chambres de commerce, des établissements financiers, des organisations
professionnelles des secteurs du patrimoine, de la culture et du tourisme, des
O.N.G. ou d’autres entités pertinentes ;
6-
La mise en place dans les pays membres du Conseil de
l’Europe et de l’Union Européenne, en tenant compte des compétences régionales
et locales, de structures permettant le regroupement des responsables des
itinéraires culturels, dans le but de les aider scientifiquement et
financièrement et de favoriser leur dialogue avec l’ensemble des ministères
concernés grâce à une représentation unifiée ;
7-
Le renforcement des moyens mis à la disposition du
Conseil d’Orientation des itinéraires culturels pour effectuer son travail
d’évaluation.
Remarques :
Afin d’apporter des solutions aux besoins de chaque étape de mise en œuvre des itinéraires culturels, un certain nombre de suggestions ont été proposées :
Les besoins scientifiques et universitaires :
Mise en réseau d’Universités européennes ou de centres de recherches, de chaires ainsi que de mastères tournés vers le tourisme et le patrimoine et spécialisés sur les itinéraires culturels.
Création d’Université européennes d’été ou d’automne des itinéraires culturels.
Les besoins en terme d’interprétation et de médiation :
Organisation régulière de rencontres sur les méthodologies et les outils contemporains de tracé, de balisage, d’interprétation et de médiation appliqués aux itinéraires culturels.
Organisation régulière d’un prix à destination des éditeurs pour encourager la publication de guides sur les itinéraires culturels dans un esprit de diversité culturelle et d’interprétation ouverte aux valeurs européennes.
Les besoins éducatifs et de sensibilisation du public :
Coopération entre le programme des itinéraires culturels et les actions de citoyenneté européenne destinées aux jeunes Européens (Centre de Culture Européenne, Parlement Européen des Jeunes…).
Création d’un Club des itinéraires culturels accompagné d’un Passeport citoyen et d’une Charte d’éthique.
Les besoins
en matière de marketing de communication et de médias :
Mise en place d’une démarche marketing des itinéraires
culturels du Conseil de l’Europe avec la création d’une identité de marque et
un contrôle des produits dérivés.
Les besoins
en matière de professionnalisation touristique :
Approfondissement des bases de données sur les rapports
entre les réseaux des itinéraires culturels et les professionnels du tourisme.
Création d’un dialogue entre les promoteurs des itinéraires culturels, les professionnels du patrimoine et des musées et les professionnels du tourisme grâce à une série de formations de tous les acteurs de la filière des itinéraires culturels (formation initiale et permanente).
Les besoins
en terme de connaissance des impacts :
Mise en place d’études pilotes et d’indicateurs sur les caractéristiques de la fréquentation touristique et sur l’impact des itinéraires culturels sur le développement territorial et sur l’économie des petites et moyennes entreprises locales.
Mise en application des recherches du programme PICTURE (Pro-active management de l’impact du Tourisme culturel sur les ressources et les économies urbaines) des petites et moyennes villes.
ANNEXES
Conclusions de la réunion plénière (première et seconde session) : Michel THOMAS-PENETTE,
Directeur de l’Institut Européen des Itinéraires culturels |
La première session du Forum de Delphes visait, au travers de l’intervention de responsables venus des différentes institutions européennes du Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne ainsi que de représentants des pays membres, à présenter la manière dont est perçue « La place des itinéraires culturels et du tourisme culturel en Europe aujourd’hui. »
La seconde session, par l’analyse d’exemples concrets, visait
« La présentation d’une filière professionnelle structurée ».
Ces exemples portaient en particulier sur le modèle pédagogique et touristique
de la Route des Phéniciens, le modèle de coopération méditerranéenne des Routes
de l’Olivier, le modèle de certification de la Route du vin et des Vignobles en
Grèce et le modèle de gouvernance de la Via Francigena, tandis que l’Institut
Européen des Itinéraires culturels proposait une lecture synthétique des étapes
de la filière professionnelle en insistant sur les étapes de gouvernance et les
sources de financement.
Certains intervenants n’ayant pu se rendre à Delphes, l’itinéraire Saint Martin de Tours, personnage européen ou les Chemins de Saint Jacques, ont été pris en compte dans les conclusions, grâce aux textes qui ont été envoyés.
De l’ensemble des interventions, il se dégage un consensus en ce qui concerne le fait que le tourisme culturel est devenu une réalité incontournable et que les itinéraires culturels constituent des modèles d’avenir pour répondre, selon les termes de Gabriella BATTAINI-DRAGONI, au choc que la société éprouve devant les menaces climatiques et la nécessité de trouver un nouveau paradigme de développement correspondant à la reconsidération de la société de consommation.
Les itinéraires culturels, dont les fondements interculturels et la diversité thématique constituent des réponses parfaitement adaptées aux besoins actuels d’un retour aux territoires, à la valorisation d’une identité locale enrichie de ses diversités européennes, constituent des fils conducteurs répondant aux attentes exigeantes de nouveaux touristes en nombre croissant qui veulent sortir des sentiers battus et organiser leur voyage à partir d’une offre riche et non standardisée.
De ce fait, une offre touristique nouvelle peut ainsi être proposée qui touche aussi bien des périodes historiques constitutives des fondements de la construction européenne, que des questions plus récentes, plus mémorielles, comme celles des migrations, du dialogue interreligieux, du dialogue méditerranéen ou d’une meilleure connaissance, exempte de préjugés, du patrimoine juif ou de la culture Rom.
Au-delà de ce consensus, il n’en reste pas moins que l’ensemble des présentations ont soulevé la question des moyens.
Tout programme qui,
même après vingt-trois ans de mise en oeuvre, continue à proposer des solutions
pertinentes et innovantes à des questions qui dépassent de loin le seul impact
du développement économique, pour toucher en particulier l’évolution des relations
géopolitiques et sociales en Europe, a du mal à installer une image claire
et à s’insérer facilement dans des schémas classiques de financements qui
ont été analysés par les participants, que ce soit les financements européens
actuels souvent sectorisés ou les financements publics territoriaux et privés -
qui ont été expliqués par les porteurs de projets, dans leur traduction
concrète transfrontalière, régionale ou territoriale.
Les montages financiers sont donc complexes, pluriels, sectoriels et souvent aléatoires.
Si le programme doit prouver, par des études chiffrées, qu’il agit en tant que levier touristique et économique, de manière durable, tant pour de petites et moyennes villes, que pour des territoires ruraux ou industriels en reconversion, il n’en restera pas moins qu’une partie de son rôle doit se traduire par un nouveau pacte social entre visiteurs et visités, par de nouvelles formes de bien-être et d’adhésion consensuelle à une forme de citoyenneté européenne active.
Il constitue en effet un programme suscitant des recherches pluridisciplinaires et des narrations interprétatives qui nous permettent de mieux comprendre – de manière concrète en rencontrant des sites et des habitants, comme en traversant des paysages - quelles sont les réalités d’une Europe qui n’a cessé de croiser et d’échanger ses bases culturelles, d’exporter ses valeurs et d’importer des modèles extérieurs, de s’opposer et de se réconcilier.
Il fonde une pédagogie pratique de la citoyenneté européenne par un dialogue qui s’entame dans les endroits mêmes où l’histoire et la mémoire sont inscrites dans le patrimoine et le vécu des habitants et auxquels les enseignants font appel pour toucher et sensibiliser les jeunes Européens.
Il propose une nouvelle dynamique sociale et économique alternative qui propose des réponses à la définition même du développement durable. Le patrimoine – même si le terme ne recouvre pas tout à fait la même notion dans différentes langues - étant (et ayant toujours été) par définition ce qui se transmet [1], est de toute évidence un élément clef, voire un modèle fonctionnel et intergénérationnel permettant d’expliquer et de provoquer une prise de conscience de la notion même de durabilité.
De ce fait l’engagement affirmé tant par le Conseil de l’Europe que par les gouvernements grec et luxembourgeois, par des représentants du Parlement Européen ou du Comité des Régions, d’engager un rapprochement pour ce programme entre les deux grandes institutions européennes et de mobilier les Etats Membres en vue d’un Accord Partiel, apparaît sinon comme le résultat direct de ce Forum, mais en tout cas comme une stratégie que le Forum a non seulement approuvée, confortée, mais enrichie en indiquant où devraient porter les efforts de manière prioritaire, dans l’hypothèse d’une véritable relance européenne concertée du programme.
Si l’on veut résumer, en deux structures fonctionnelles, la manière dont les itinéraires culturels proposent à la fois un nouveau modèle de prise en compte de la citoyenneté européenne par la découverte concrète des valeurs qui la constitue et un nouveau modèle de gouvernance, il faut absolument prendre en compte la dimension diachronique et la dimension synchronique qui ont été analysées sous l’angle politique, administratif et culturel.
Le programme des itinéraires culturels est caractérisé par un axe diachronique qui prend en compte différentes strates de l’histoire et de la mémoire de l’Europe, dans un aller et retour constant entre la découverte archéologique et l’analyse des conflits récents, entre les migrations anciennes et proches, en valorisant l’évolution des langues et des traditions dans différentes structures sociales traditionnelles ou post-modernes, en mettant en relation fonctionnelle les rapports entre des personnages et des lieux symboliques avec les périodes d’enracinement identitaire et les périodes de dialogue et de réconciliation.
C’est par cet exercice, qui se fonde sur une approche de l’histoire dans une multi-perspectivité, que se construisent, par un voyage dans l’espace et le temps, des itinéraires culturels qui sont autant de propositions fortes d’une identité élargie riche et diversifiée destinée autant aux Européens qu’aux visiteurs de la « Destination Europe ».
Mais à ce tournant où le dialogue entre les Institutions européennes peut être renforcé et rendu plus aisé du fait de l’entrée en force du Traité de Lisbonne, la dimension synchronique de la gouvernance du programme doit devenir une priorité.
La fluidité d’une circulation constante des stratégies et des décisions entre des niveaux de responsabilité différents mais cohérents : Institutions européennes dans leurs différentes composantes, Etats, pouvoirs régionaux, chercheurs, enseignants, opérateurs publics et privés, doit être assurée dans une nouvelle économie où les bénéfices financiers réalisés en aval, doivent pouvoir être réinjectés en amont et où les bénéfices sociaux doivent pouvoir être mieux mesurés.
L’ensemble des organes clefs actuels - ou proposés pour le futur - qui régulent, modèrent ou évaluent la filière en question : Comités d’experts nationaux, Comités parlementaires, administrations nationales et régionales, Conseil d’Orientation, Conseil d’Accord Partiel, Comité consultatif des responsables des itinéraires culturels, Institut Européen des Itinéraires culturels, Unions nationales des itinéraires culturels, GEIE Culture Routes Europe, doivent être reliés de la manière la plus harmonieuse et la plus fluide possible de façon à ce que, comme l’ont souhaité de nombreux participants, le principe du « bottom – up », de la remontée de l’information et de la consultation des acteurs de terrain et des usagers vers les décideurs institutionnels, soit réellement prise en compte.
Rapports des tables
rondes :
Table ronde 1 : Outils et produits touristiques des itinéraires culturels
|
Introduction :
Les itinéraires culturels du
Conseil de l’Europe ont été lancés avec l’idée d’amener les Européens à se
rencontrer et à rechercher leurs racines communes, leur identité commune
enrichie de ses diversités, par le voyage et la découverte de toutes les formes
de patrimoine. De grands thèmes
pan-européens ont été choisis pour répondre à ce but. Grâce au succès des voyages
à pied, du tourisme lent, du tourisme vert que connaît l’Europe depuis vingt
ans, l’idée originale du programme a trouvé son public ; les itinéraires
de pèlerinage (complémentairement au tourisme religieux) étant même devenus
ce que le monde du tourisme nomme aujourd’hui un « mega-trend »,
une tendance majeure. Toutefois, on ne peut pas
nier que si les itinéraires fondés sur les anciennes voies romaines, ou les
voies de pèlerinage, les sentiers de montagne, le patrimoine rural, la
régate, le parcours en bicyclette ou à cheval - qui concerne la Via
Francigena, l’itinéraire de Saint Martin, les Phéniciens,
les Routes de l’Olivier - ont commencé à trouver leurs assises
professionnelles en s’appuyant sur un réseau d’hospitalités, de logements
chez l’habitant, de courses nautiques déjà éprouvées ; si le patrimoine
roman n’appelle pas de contestation mais au contraire un large consensus,
convaincre les touristes à venir parcourir les routes polonaises ou
ukrainiennes de la Via Regia, ou faire découvrir le patrimoine juif est plus
difficile. Dans ce but des outils
liés aux nouvelles technologies ont été mis au point. De même, quelques
expériences pilotes, parfois encore timides, ont adopté les exigences de
l’industrie voyagiste, tout en respectant les règles du développement
durable. Enfin, la mobilisation d’animations culturelles et patrimoniales
exigeantes, fondées sur une interprétation ouverte du patrimoine est
également un élément de renouvellement de l’expérience touristique. Cette table ronde vise la présentation d’exemples concrets dont l’expérience pourrait être étendue au programme de manière plus générale. |
Présidente : ZoéKAZAZAKI, Chef de la
Direction des Relations Internationales
Ministère Hellénique de la Culture et du Tourisme, Déléguée grecque et
Présidente du Conseil d’Orientation des Itinéraires culturels du Conseil de
l’Europe
Rapporteur : Michel THOMAS-PENETTE, Directeur de
l’Institut Européen des Itinéraires culturels
Participants :
Antonio BARONE, Directeur de l’Association
« Route des Phéniciens »
Vincent ZAMMIT, Institut des Etudes Touristiques de
Malte – Centre d’Etudes Culturels et Patrimoine
Marinella KATSILIERI, Responsable du Programme
Culturel, Coordinatrice du Réseau « Les Routes de l’Olivier »
Nourredine OUAZZANI, Professeur RNA Maroc, Attaché
Méditerranéen à la Fondation « Les Routes de l’Olivier »
Joan C. VILALTA i SERANO, Directeur du Tourisme de la
Catalogne, Représentant du Réseau NECSTOUR
Alberto CONTE, Directeur ITINERARIA sas
Fiorella DALLARI, Almer Mater Studiorum Bologna,
Université de Bologne
Maria THEODOROU, Les Chevaliers de Saint Jean
(Chevaliers de Malte)
Iosif EFREMIDIS, Les Chevaliers de Saint Jean
(Chevaliers de Malte)
Kyriacos KALAITZIDIS, Directeur Artistique « En Chordais » - Itinéraire de la Musique Byzantine et Méditerranéenne
Rapport :
En dépit de l’absence des
représentants des itinéraires culturels Al-Andalus, Transromanica et Via
Regia, la table ronde a pu examiner des exemples très concrets concernant
les approches les plus actuelles en matière d’outils et de produits
touristiques des itinéraires culturels, même si les thématiques présentées
concernaient essentiellement l’espace méditerranéen.
En introduction à ce rapport, on
pourrait certainement affirmer que la dimension anthropologique du parcours,
qui fait que la route est un espace naturel aux êtres humains, qu’ils soient
sédentaires ou migrants, ceci depuis l’origine de l’humanité, inscrit
l’idée ou le concept de l’itinéraire au plus profond de la mémoire
collective.
Ce sont le parcours et l’itinéraire
choisis qui déterminent le paysage et lui donnent un sens, tout en
inscrivant des parcours individuels dans un espace collectif, un espace de
partage.
L’importance que les itinéraires
culturels prennent aujourd’hui dans l’imaginaire de nos contemporains,
et tout particulièrement les itinéraires de pèlerinage dont le succès est
tellement considérable, est certainement due à ce caractère profond et
constitutif.
De plus, l’ensemble des
présentations qui ont été largement et brillamment illustrées, font ressortir
des points tout à fait fondamentaux qui montrent que depuis quelques années
l’approche du tourisme culturel a profondément évolué, en sachant allier les
approches touristiques les plus anciennes, faisant appel à des modes de
locomotion et à un esprit de rencontre qui existaient avant l’époque
industrielle et le tourisme de masse, tout en adoptant des technologies
sophistiquées qui apportent une somme d’éléments d’informations qui sont
mis en forme et hiérarchisés grâce à l’emploi des techniques du monde virtuel.
De ce fait toutes les démarches
individuelles témoignant de la recherche d’un tourisme lent, qu’il soit
terrestre, fluvial ou maritime, rejoignant l’esprit des pèlerins, des
marchands, des étudiants parcourant l’Europe médiévale, se croisent et
dialoguent aujourd’hui en temps réel grâce à un ensemble d’espaces virtuels
sous forme de blogs, de sites sociaux, de forums…
Les exemples les plus frappants de
ces parcours lents et initiatiques, fondés sur la découverte et le rapport à
l’imaginaire, outre les itinéraires de pèlerinage, ont été apportés par les Routes
des Phéniciens ou les Routes de l’Olivier. Tandis qu’Alberto CONTE, Antonio
BARONE ou les responsables de la Route des Chevaliers de Saint Jean
décrivaient parfaitement combien la cartographie et la géographie – deux
domaines sur lesquels Fiorella DALLARI a insisté – étaient devenus avec
l’emploi des Systèmes d’Information Géographique ou des Cartes Google, des
supports techniques indispensables à la préparation du voyage et à l’apport
d’information en temps réel, tout en nourrissant l’imaginaire.
De ce fait, la coopération
interuniversitaire et pluridisciplinaire en Europe sur les itinéraires
culturels apparaît comme une urgence absolue.
Outre ces remarques fondamentales,
d’autres faits importants ont été soulignés :
-
L’organisation cohérente des flux de
communication grâce au rôle essentiel de la mise
en réseau, que ce soient des réseaux interrégionaux, comme le réseau NECSTOUR
pour le tourisme durable, les réseaux de Chambres de Commerce illustrés dans le
cas des Routes de l’Olivier ou de la Croatie et bien entendu du travail de
coordination des réseaux qu’assure l’Institut Européen des Itinéraires
culturels ou le GEIE Culture Routes Europe.
-
Le caractère essentiel de
l’éducation, de l’explication et de l’interprétation d’une histoire qui
relie le passé au présent, et surtout de la formation des guides qui
sont au contact direct du public et donc les plus impliqués dans la
transmission du message des itinéraires et des valeurs européennes.
-
L’importance de fils conducteurs
– personnages, époques, courants – qui permettent une véritable appropriation
des identités européennes par les visiteurs et l’enrichissement du discours
narratif et interprétatif par les responsables de l’accueil.
-
Le fait que le cœur de la cible
visée par les outils et les produits des itinéraires culturels sont des
destinations moins connues, des « petites et moyennes » destinations,
constituées de petites et moyennes villes, voire des villages dans une
relation de forte proximité et bien entendu, de petites et moyennes
entreprises.
Une remarque fondamentale sur le
rôle des pays extra-européens, et en particulier méditerranéens a été faite
par Nourredine OUAZZANI, soulignant que les
itinéraires culturels reposent sur une conception ouverte de l’Europe, en
dialogue avec les autres continents qu’elle a influencés au cours de son
histoire et desquels elle a reçu également des influences et un enrichissement
culturel.
Cliché MTP
Table Ronde 2 : Tourisme éthique et responsable
|
Introduction : La définition du
développement durable est loin de faire l’unanimité. Selon que l’on
privilégie sa dimension économique, écologique ou éthique, les priorités
peuvent fortement différer. Le terme de développement durable ou soutenable
apparaît pour la première fois en 1980, formulé par l’Union internationale
pour la conservation de la nature. Il reçoit un écho considérable à la suite
de la publication en 1987 du rapport de la Commission mondiale sur
l’environnement et le développement (dit rapport Bruntland) et il est
entériné lors la Conférence des Nations Unies pour l’environnement et le
développement (CNUED) de Rio de Janeiro en 1992. Aujourd’hui, tous les forums
internationaux mettent le développement durable à leur ordre du jour. Toutes les institutions
internationales et les ONG qui travaillent avec elles, comme l’ICOMOS, le
Réseau NECSTOUR des régions d’Europe pour un tourisme durable, les
associations du tourisme social, ont mis en place des Conventions, des
Chartes, des recommandations et des projets pilotes qui encouragent les
bonnes pratiques, respectueuses de l’environnement, de la valorisation douce
du patrimoine bâti et paysager, de la valorisation des produits de
territoire, en combattant la mondialisation et le tourisme de masse et en
encourageant un rapport d’égalité et de dialogue avec les habitants. Dans ce cadre là, aussi bien le tourisme « rural » développé dans de nombreux itinéraires de parcours comme les voies de pèlerinage, que le tourisme urbain fondé sur des personnages européens, le thermalisme, les patrimoines méconnus des pays qui ont accédé récemment au Conseil de l’Europe ou à l’Union Européenne, les valeurs de l’Hospitalité, de la Solidarité, du Partage ou de la Paix, sont des supports très opératifs à prendre en compte dans le moment de tournant dû à la fois à la crise économique et anthropologique qui concerne le monde entier mais affecte plus particulièrement l’Europe qui reste encore la première destination touristique. Cette table ronde vise la
présentation d’exemples concrets dont l’expérience pourrait être étendue au
programme de manière plus générale. |
Président : TheodosiosMASTROMINAS, Ancien Sous-directeur d’ «Unité», «Programme Culture» et «Programme
Jeunesse», Direction Générale de l’éducation et de la culture de la Commission
Européenne
Rapporteur : Vassilis KONIORDOS, ELLINIKI ETERIA, Société pour l’Environnement et le Patrimoine Culturel
Sofia AVGERINOU- KOLONIA V/Président d’ Hellenic ICOMOS – Membre
de la Comité de Direction d’ICOMOS
Betti CHATZINIKOLAOU , Fondation « Les Routes de l’Olivier »
Edouard DE LAUBRIE
Fondation
« Les Routes de l’Olivier »
Nikolaos VERNICOS, University of the Aegean / Département de
la Communication et Technologie Culturelle, Professeur émérite
Sofia DASCALOPOULOU, University of the
Aegean / Département de la Communication et Technologie Culturelle, Professeur
Ioanna VENIERI, Ministère de la Culture et de la Tourisme de Grèce, Chef du
« Directorate Prehistoric & Classic Antiquities »
Konstantinos
Tokmakides, Aristotle University of Thessaloniki, Professeur
Karagianni Flora, « European
Centre of Byzantine and Metabyzantine Monuments »
Zetta Antonopoulou, Muncipalité d’Athènes
-
Communication de Mme Sofia Avgerinou-Kolonia en tant
que représentante de l’ICOMOS en ce qui concerne l’anniversaire de la Journée
internationale des Sites et des Monuments. L’évolution des opinions de l’ICOMOS
concernant le Tourisme Culturel et son rapport avec le tourisme durable et
éthique.
Ø
Présentation de Mme Betti Chatzinikolaou, membre
du Comité Scientifique, « Route de l’Olivier »
-
Clarifications par Nikos Vernicos, Sofia Avgerinou et le Président.
Ø
Présentation de M. Edouard de
Laubrie
-
Nikos Vernicos a ajouté quelques points concernant les
pratiques dans certaines îles et comment les citoyens perçoivent l’aspect
éthique. Comment peut-on informer afin d’agir de façon responsable et éthique
dans les petites communautés (environ 1/3 de l’Europe). Il faut permettre aux
communautés locales d’exprimer leurs opinions concernant l’avenir.
-
Betti Chatzinikolaou a ajouté des informations sur les
ressources du tourisme et les paramètres des destinations touristiques. Mme
Sofia Dascalopoulou a mis l’accent sur le fait que chaque contact crée une
identité culturelle, les comparaisons et la reconnaissance de l’altérité, ce
qui fait réapparaître l’identité culturelle de la communauté locale. C’est
aussi un rapport interactif.
Ø
Betti Chatzinikolaou a ajouté qu’au cours de la
dernière décennie il y a eu un changement croissant du tourisme de masse vers
un tourisme alternatif. La législation protége « les routes de
l’Olivier » contre les atteintes à l’environnement, des réglementations
concernent notamment l’arrêt des constructions dommageables et les
interventions environnementales.
Une grande discussion de tous les partenaires de la table ronde a eu lieu autour de ces questions.
Ø Présentation de Vassilis Koniordos suivie d’une discussion de la majorité des participants à propos de la vaste présence des Phéniciens en Grèce et en Méditerranée
Ø
Présentation de Sofia Avgerinou:
“L’ICOMOS et les Itinéraires culturels”
Ø
Theodossios Mastrominas
Détournement des objectifs initiaux des projets ou des initiatives concernant l’amélioration du patrimoine culturel et naturel.
M. Mastrominas a proposé d’organiser, en septembre, dans l’île de Karpathos une réunion de toutes les organisations des Itinéraires culturels afin de discuter et de proposer une coopération pour des propositions concrètes. Un exemple pourrait être les accords de jumelage entre villes tout au long des itinéraires.
Ø
Une proposition du Prof. Nikos Vernicos a été
ajoutée concernant les Itinéraires des petites îles.
Ø
Flora Karagianni a décrit les activités du
Centre Européen de Monuments Byzantins et Post-Byzantins de Thessalonique.
Ø
Zetta Antonopoulou a décrit l’intérêt de
l’implication de la Municipalité d’Athènes dans les itinéraires culturels et
les liens avec d’autres villes.
Ø
Sofia Avgerinou a présenté la notion
d’itinéraires culturels comme nouvelle catégorie de la liste du patrimoine
mondial d’UNESCO et a proposé de possibles itinéraires culturels basés sur
l’histoire de l’hellénisme.
Remarques de Theodosios Mastrominas
·
A chaque évocation du tourisme culturel, de ses aspects éthiques et de la
question de la responsabilité, on doit d’abord mettre en perspective de manière
éthique la ressource dont on est responsable et dont on se sent responsable.
·
En tant que praticiens directs ou indirects et en tant que défenseurs de la
protection, la préservation, la prise en compte de la culture, qu’il s’agisse
de ses aspects matériels ou immatériels, nous somme très souvent très
sceptiques ou même suspicieux vis à vis des intentions, des intérêts et des
politiques qui envisagent l’exploitation de notre patrimoine culturel et
naturel riche et divers, une exploitation évidemment toujours dans
l’intérêt de la relance économique et du développement, ou, ce que l’on a nommé
dans les années récentes le Développement Economique Durable. Et
pourquoi ? Tout simplement parce que, même s’ils sont nobles au moment de
leur conception, les termes comme
ceux-ci ont tendance à perdre leur accent, leur but et leurs objectifs
au cours de la mise en oeuvre. Très souvent, malheureusement, nous avons tous
pu constater que ce que le soi-disant développement durable implique
réellement, tant au niveau local, national ou international. Nos cultures et
patrimoines ont souvent été sacrifiés sur l’autel des intérêts économiques,
dans la mesure où ces intérêts ont été mal conçus parce qu’ils étaient
envisagés pour des gains financiers à court terme et qu’ils contredisent très
souvent l'esprit de la chose : la protection durable et l’augmentation de
nos riches ressources culturelles.
·
Le développement économique durable devrait aller de pair avec le maintien
durable de nos ressources uniques, culturelles et naturelles. Donc il faudrait
rester prudent quand on utilise ces termes « clichés » ou ces slogans
et essayer de trouver comment on peut marier ces deux concepts ; parce que
sans le premier, le deuxième ne sert à rien.
·
Notre première responsabilité est la préservation et la protection de notre
environnement culturel et naturel, dans le cadre social, politique et
économique actuel, parce que npis vivons – ou qu’on devrait vivre - dans le
monde d’aujourd’hui et non dans le passé. On devrait utiliser les moyens et
technologies contemporains et garantir que lorsque l’on cherche à être
imaginatif dans notre recherche de solutions pour la crise économique, on ne détruit pas notre patrimoine, ni pour
nous, ni pour les générations qui viennent.
·
Il existe de toute évidence des approches légères et sensibles et des
politiques qui traitent nos ressources culturelles et naturelles d’une manière
éthique et responsable.
·
Les approches et les politiques de cette nature devraient être bien conçues
et provenir de consultations démocratiques et transparentes, non seulement
entre les autorités, ou entre les autorités et les experts, mais aussi avec les
différents usagers de ce patrimoine qui est trop souvent instrumentalisé.
·
Les vrais intervenants, le public,
qui, bien que pour beaucoup d’entre nous est considéré seulement comme un
bénéficiaire et donc indigne de notre attention, comme si nous, les experts,
étions les seuls à comprendre ce dont il s’agit et donc à décider ce qui nous
semble le meilleur pour eux.
·
Une politique ne peut réussir à long terme qu’avec le soutien du public.
·
Un public bien informé et impliqué qui contribuera à une approche
ascendante « bottom-up » par de vraies concertations et décisions qui
prendraient en compte l’opinion et les propositions des citoyens ordinaires est
nécessaire, pour que les politiques et les mesures puissent être décidés en
tenant réellement compte de leur opinion.
·
En même temps, les autorités, les institutions et les experts doivent jouer
leur rôle important, premièrement en augmentant la sensibilité et la conscience
du public sur l’importance de son environnement culturel et naturel pour qu’il
puisse lui-même (le public) commencer à avoir une opinion fondée, après
avoir trouvé ou retrouvé un respect pour son patrimoine. L’assistance technique
et l’encouragement de la mise en œuvre de solutions alternatives décidées par
les autorités, institutions et experts sont nécessaires mais pas de la manière
« paternaliste » qui est trop souvent utilisée.
·
Il faut aussi se comporter de manière éthique et responsable vers
les hôtes, les visiteurs et les touristes dans nos pays et dans les
communautés locales. On doit arrêter de les « servir » avec des faux
produits culturels et touristiques. Ils s’en rendent compte assez vite. Et au
détriment de qui ?
·
Il faut « éduquer » - les sensibiliser sur la nature des
environnements et les caractéristiques des communautés dont ils veulent
« jouir ». Ils doivent aussi se montrer respectueux et ne pas se
comporter comme des « touristes consommateurs ».
·
Et voilà où la coopération et les partenariats sont essentiels au
niveau local, national et international, parce qu’il s’agit des touristes
autochtones ainsi bien que des touristes « étrangers ». Les instituts
spécialisés, les organisation internationales, les autorités nationales,
régionales et locales possèdent ensemble les compétences disponibles pour
travailler sur un plan d’égalité avec des voyagistes ou des fournisseurs
de services, mais aussi pour trouver les politiques et produits durables à long
terme.
·
Les forums, comme celui-ci, ne sont pas seulement importants parce que
chacun délivre son message et rentre chez soi, content et fier/e de lui. Non, le plus important est ce
qu’ils pourraient ou devraient engendrer : la coopération et des
partenariats concrets et non pas seulement des désirs et des résolutions sans
suite.
·
Est-on prêt à adopter cette attitude ? Ou se rassemblera-t-on dans
quelques années en répétant les mêmes désirs et avertissements au bénéfice de
notre propre écoute ? Les résolutions et propositions concrètes à la fin
du forum montreront si l’on a raison ou non.
· Quant aux propositions, je voudrais personnellement proposer une réunion de tous les Itinéraires Culturels du Conseil de l’Europe, où l’on pourrait élaborer et s’accorder sur des projets concrets de coopération, soit entre les partenaires de chaque Itinéraire Culturel, soit entre les partenaires de tous les Itinéraires Culturels. Quelques exemples dans ce sens seraient par exemple des accords de jumelage entre les villes situées le long des Itinéraires Culturels ou des projets de coopération culturelle sur des thèmes différents et communs. Après avoir été élaborés et après une entente mutuelle, ces projets pourraient être soumis dans le cadre de programmes de l’UE (le jumelage de villes, Culture 2007-2013) pour obtenir un financement commun. Cette réunion pourrait avoir lieu au milieu de septembre sur l'île de Karpathos, en Grèce.
Table Ronde 3 : Le modèle économique pour les
itinéraires culturels et la promotion de la destination Europe
|
Introduction : Cette table ronde est
certainement celle qui aborde la question la plus complexe et la plus
ouverte. Mais cette question de modèle économique est bien entendu
extrêmement importante pour l’avenir du programme et constitue l’un des plus
grands enjeux pour les années à venir. Jusqu’aujourd’hui le modèle
économique des itinéraires culturels est en effet mal connu. On peut même
dire que le modèle économique du patrimoine, entre financement public et
financement privé, a du mal à trouver des bases généralisables. La vraie
question de fond est bien : le tourisme culturel est-il une industrie
culturelle, comparable à la musique ou au cinéma ? Question sur
laquelle le Conseil Européen de la Culture s’est régulièrement penché depuis
plus de six ans, en mettant de nouveau en avant récemment la notion de développement
culturel comme élément clef (Présidence espagnole de l’Union
Européenne). Un Livre Vert a été publié à ce sujet et attend des
contributions pour l’enrichir. Nous avons lancé l’idée de
pratiquer une analyse de filière, comme celle que l’on pourrait
pratiquer pour une industrie classique – filière automobile ou textile – mais
en prenant en compte le fait qu’il s’agit d’une industrie où la recherche et
le développement, comme la création contemporaine, le design, la place de
l’imagination sont essentiels en amont de la filière. Qui finance en effet
cette recherche, ainsi que le travail d’interprétation, de valorisation et de
médiation ? Qui finance la sensibilisation des jeunes ? Quels
nouveaux modèles touristiques sont élaborés et avec quels partenaires privés,
qui permettent de réinjecter les bénéfices en amont de la filière ? Ces bénéfices qui tiennent
autant à la qualité de vie, la qualité de dialogue entre visiteurs et
visités, la prise en compte d’une attitude responsable et d’une citoyenneté
européenne active, sont ils mesurables ? Aux formes conventionnelles
de capital, on peut en ajouter une autre, plus récemment prise en
considération : le capital social qui désigne, selon la définition de
l’OCDE, des réseaux, des normes, des valeurs et convictions communes
facilitant la coopération au sein des groupes ou entre eux. Bien que plus
extensive, la notion de cohésion sociale est proche de celle de capital
social. Les dispositions politiques, institutionnelles et juridiques en
vigueur en sont des compléments importants, influant aussi sur le niveau de
bien-être. Sans doute faut-il réfléchir
à la phrase de Philippe Madec : « La culture n’est plus le contexte
de nos actions, elle est la condition même de leurs accomplissements. »
pour revoir la filière touristique liée à la culture et au patrimoine, selon
un autre angle de vue que celui de l’économie classique. |
Président : Georges POUSSAIOS, Secrétaire Général du Tourisme du Ministère
Héllénique de la Culture et du Tourisme
Rapporteur : Kostis DALLAS, Professeur associé à la Faculté de
Communication, Media et Culture Panteion Université
Fernando GOMEZ-RIESCO, Directeur Général adjoint de la Coopération Culturelle Inernationale /
Délégué espagnol au Conseil d’Orientation des Itinéraires culturels
Vlasta KLARIC, Conseiller,
Département du Tourisme de la Chambre d’Economie de la Croatie
Audrey GUITTARD, Responsable de la Communication, Itinéraire
« Les Routes de l’Olivier »
Georges SARADAVGAS, Conseiller en matière de développement régional,
Membre du Comité Scientifique, Itinéraire « Les Routes de l’Olivier »
Mihai DRAGOMIR, Mioritics Association
George ASSONITIS, Conseiller expert aux Affaires européennes (Union
Hellénique des Chambres de Commerce et d’Industrie) – Membre de CAST (Chambers
Active for Sustainable Tourism)
Aspasia LOUVI, Directrice Générale de la Fondation Culturelle de la Banque du Pirée
Rapport :
La 3 e Table Ronde a eu lieu dimanche 18 avril 2010, avec seulement sept orateurs présents sur les onze prévus; des cendres volcanique ont en effet empêché Silvia Lecci (Institut Européen des Itinéraires Culturels, Culture - Routes Europe GEIE), Thomas Mielke (Baltic Sea Tourism Commission), Hubert Debbasch (Voyagiste, Terre Entière), et Sophia Charokopou (Explorer) d’être présents. Il est regrettable que nous ayons manqué de perspectives supplémentaires, bien que les présentations de Thomas Mielke et Silvia Lecci soient maintenant disponibles sur la plateforme de travail collaborative du Forum. Inversement, le nombre réduit d’orateurs a permis la mise en place de discussions très intéressantes après les présentations officielles.
Systématiquement, les orateurs ont présenté les structures, arguments et études de cas en faisant mention de préoccupations plus générales de « modèles commerciaux » (business models et le marketing stratégique des itinéraires culturels dans le cadre de la « Destination Europe », plutôt que les propositions de modèles commerciaux spécifiques et de planification promotionnelle comme prévus à l’origine.
Fernando Gomez-Riesco (Département pour la Coopération Culturelle et Internationale, ministère de la Culture d’Espagne) a commencé la séance en expliquant les grandes lignes des stratégies pour le tourisme culturel, en puisant beaucoup dans les expériences espagnoles.
Vlasta Klaric (Département du Tourisme, Chambre économique croate) a présenté une étude de marché des attributs, segments de marché, parties prenantes, activités et thèmes pour le tourisme culturel de la Croatie, en examinant la segmentation et les approches de « mood management ».
Audrey Guittard et Georges Saradavgas (Les Routes de l’Olivier) ont présenté leur initiative dans le contexte plus large de la création de la « Destination Europe » en utilisant le tourisme culturel, paysager, gastronomique et maritime.
Mihai Dragomir (Association Mioritics) a souligne quelques contradictions, en développant des exemples en Roumanie, en opposant le tourisme de masse prédominant lié à l’image de Dracula ; George Assonitis (Union Hellénique des Chambres de Commerce et d’Industrie - CAST) a présenté le tourisme durable et soutenable, respectueux de l’environnement en s’appuyant sur l’expérience des îles grecques.
Finalement, Aspasia Louvi (Cultural Foundation of Piraeus Bank Group) a
présenté le modèle de partenariat de la Fondation avec le gouvernement régional
pour s’occuper du nombre croissant de musées en Grèce implantés sur le
territoire, musées qui se concentrent sur le patrimoine industriel et
technologique. Les discussions ont été dirigées par le président de la table
ronde, George Poussaios (Ministère de la Culture et du Tourisme Grec) et le
rapporteur, Costis Dallas (Panteion University & Université de Toronto), en
traitant de sujets aussi divers que l’encouragement à l’innovation au niveau
local, la formation académique et professionnelle dans le tourisme culturel,
ainsi que l’utilisation de l’informatique et des medias sociaux pour la
communication et la promotion d’itinéraires culturels.
Plusieurs réflexions ont émergé, sur des niveaux d’analyse différents.
Sur la question de la mission et de l’identité, une question se pose concernant la définition même d’« itinéraires culturels » comme concept unique, comparé aux autres formes de tourisme. « Un itinéraire sans destination ne sert à rien », a argumenté un orateur, mais d’autres semblaient adopter la position que « les itinéraires culturels vous offrent un voyage merveilleux et que sans eux, on n’aurait pas commencé le voyage » (Cavafy).
Les itinéraires culturels tirent profit des synergies entre les infrastructures culturelles de qualité basées sur le territoire, comme les musées ; mais aussi des événements locaux, des fêtes et des activités plus ponctuelles fondées sur le rythme calendaire ; et d’une notion plus vaste du patrimoine, qui associe les ressources naturelles et culturelles et qui tirent profit de l’atmosphère et de l’identité locale et du paysage.
Ils sont également et essentiellement liés avec les pratiques comme l’éco- et l’agritourisme, le tourisme culturel avec une destination spécifique, telle que la recherche d’intérêts thématiques spécifiques comme le vin et la gastronomie, les cultures locales, le pèlerinage religieux et /ou les lieux de mémoire ; voilà ce qui définit les priorités fondamentales pour les collaborations fructueuses potentielles.
Ainsi il existe une base solide en faveur d’une amélioration de la visibilité des itinéraires culturels dans le cadre exercé par les voyagistes « populaires » et du tourisme de masse, par exemple, afin d’établir plus de liberté pour les voyageurs à leur arrivée, par rapport aux offres tout compris. Néanmoins, la valeur distinctive (l’argument de vente) des itinéraires culturels : les approches de « slow tourism » et du tourisme durable doit être plus largement développée et communiquée pendant toute la saison et hors saison, les projets qui impliquent les moyens de transport lent et les itinéraires qui favorisent une appréciation du territoire, ses cultures et histoires vivantes (comme les chemins d’interprétation, les destinations en dehors des sentiers battus, les vacances qui suivent les itinéraires pittoresques en voiture, en moto et en vélo), et le développement complémentaire de récits et de métaphores qui sont riches en culture et éclairantes, à la fois intellectuellement et émotionnellement (pour une grande part historiquement attestés, comme les chemins de commerce et les chemins de pèlerinage religieux) pourraient être particulièrement utiles.
On peut souligner un ensemble d’attributs principaux des itinéraires culturels tels qu’ils ont été présents au cours des débats : l’authenticité, nommée par beaucoup comme l’aspect le plus important que les itinéraires culturels devraient s’efforcer d’offrir, qui apporte une alternative aux stéréotypes culturels typiquement favorisés par le tourisme populaire ; le respect culturel, basé sur une politique ou reconnaissance des cultures locales à l’échelle humaine, ont démontré une dépendance vis-à-vis des initiatives à plus petite échelle locale et ayant un « faible impact » ; l’expérience holistique ; la responsabilité envers l’environnement , démontrée par les pratiques sensibles à l’environnement ; et, la viabilité à long terme en s’assurant , entre autres que les communautés locales et l’économie tiennent profit des résultats positifs à long terme.
La qualité émerge de mises en œuvre qui tiennent compte de ces caractéristiques. Il est intéressant de constater comment certains attributs qui sont basés sur la valeur et non pas sur le service ou le produit, occupent un rôle central dans la « marque » des itinéraires culturels et sont des facteurs majeurs en ce qui concerne sa viabilité de marché et sa réussite.
Etant donné l’importance première du patrimoine culturel et des arts pour l’Europe comme destination long courrier, on pourrait certainement dire que ces élément constitutifs principaux de la marque « Destination Europe » tiennent au fait que beaucoup d’aspects importants des cultures européennes sont à la fois internationales, territoriales et possibles tout au long de l’année, et qu’ils se fondent sur l’urgence de protéger le patrimoine culturel et naturel européen contre la surexploitation.
A ce stade, plusieurs points intéressants ont émergé. Pour les visiteurs, les itinéraires culturels ouvrent les portes d’un certain nombre d’offres, en plus de l’expérience même du voyage, une infrastructure d’hospitalité, la gastronomie et le vin, les sites de patrimoine culturel et naturel, l’architecture locale et les sites historiques ; les fêtes, les arts du spectacle et les événements culturels, du shopping, les différents services locaux, voir les loisirs en pleine nature, le sport et les activités de plein air, pour ne citer que ces exemples.
Il existe un grand besoin d’une recherche spécifique sur le marché des itinéraires culturels, afin de comprendre comment ces éléments relient la satisfaction et les besoins du marché, des attitudes et des perceptions, pour identifier la structure des segments du marché concerné, pour permettre le développement d’une approche appropriée de la gestion des relations.
La qualité des itinéraires dépend de la qualité des infrastructures et des services locaux, un fait qui suggère qu’une stratégie coordonnée, harmonisant la planification des itinéraires culturels avec les autres activités de tourisme à «faible impact» et alternatif, comme l’écotourisme, le tourisme religieux, le tourisme gastronomique et l’œnotourisme, et le soutien pour les artisanats d’art locaux, devraient être vraiment considérés.
Inversement, en vertu de leur qualité internationale, les itinéraires culturels constituent réellement les outils principaux susceptibles d’encourager le changement, l’innovation et l’échange de connaissance dans le secteur entier du tourisme de proximité, thématique et à «faible impact » ; les gouvernements nationaux et régionaux, ainsi que l’UE, devraient tenir compte de ce fait.
Les « modèles commerciaux » business models pour les itinéraires culturels soulèvent la question de la participation des parties prenantes, de la gouvernance et de la durabilité.
Tandis qu’il y a un consensus sur le fait que les communautés locales, les économies et structures gouvernementales doivent être impliquées, la nature internationale de la plupart des itinéraires culturels, en transcendant les lieux et les autorités locales différentes, rend qu’il est difficile l’identification et l’engagement des parties prenantes.
Il est donc possible que l’on soit face au besoin de nouveaux outils pour mobiliser les parties prenantes, publiques et privées, à travers les frontières, de la contribution des organisations de service et de sociétés civiles caractérisées par l’intégrité, la transparence, l’expertise spécialisée, la passion, l’engagement à une participation à long terme et, poussée par ces valeurs avec la planification et la programmation des itinéraires culturels que l’on ne peut pas sous-estimer.
Le gouvernement régional peut aider le processus en fournissant une structure pour la coopération horizontale à travers les frontières géographiques, et pour encourager l’innovation concernant tous les éléments du tourisme culturel et local à « faible impact ». Le plus utile pour les itinéraires culturels pourraient être des structures comme les réseaux, ou les groupes qui rassemblent des chaînes de valeur au niveau local et régional.
Dans certains cas, il pourrait être approprié de mettre en place des structures bi- ou tripartites, impliquant les gouvernements locaux et/ou nationaux, les parties prenantes du secteur privé comme les chambres de commerce, et les organisations d’itinéraires culturels, afin de garantir que les initiatives bénéficient de l’adossement et de leur soutien actif et, en même temps, s’adressent également aux hautes échelles de responsabilité publiques.
Au niveau de la programmation, les actions identifiées encouragent souvent, plus que le fonctionnement lui-même des itinéraires culturels, un type de voyage personnalisé que l’on organise soi-même, en englobant une gamme plus vaste d’éléments horizontaux et de soutien.
Il est nécessaire de développer la promotion actuelle de projets d’excellence, y compris de garantir l’établissement et la visibilité de niveaux et d’indications de meilleures pratiques, d’examiner le fonctionnement de l’accréditation et/ou la validation, de développer des plans de formation, d’encourager les initiatives transfrontalières, pour ne citer que ces exemples.
L’émergence d’Internet et de la communication en ligne, et l’augmentation du succès des médias sociaux et participatifs qui donnent un pouvoir de conseil et de diffusion ont été considérés comme un défi et une opportunité nouvelle et importante qui privilégie la segmentation, la personnalisation et les approches menées par la communauté.
Ils sont particulièrement appropriés aux les itinéraires culturels, et facilitent les occasions interactives pour améliorer la cycle de vie de l’expérience des itinéraires culturels, d’ « e-marketing », en passant par la promotion, jusqu’à l’organisation des voyages, in situ le soutien de l’expérience du visiteur grâce aux services mobiles et qui permettent la perception de la dimension géographique, et l’amélioration de connaissances qui pourront améliorer son impact durable.
Comme il a été noté, il y a un manque criant d’enseignement de troisième cycle au niveau européen dans le domaine du tourisme culturel, y compris en ce qui concerne les itinéraires culturels ; en plus, les itinéraires culturels ne sont pas très bien représentés dans le cadre de la recherche bibliographique, particulièrement en ce qui concerne l’établissement d’un dialogue interdisciplinaire qui inclue l’approche des études de sciences économiques, le tourisme, la politique culturelle et le patrimoine culturel. Ces deux points doivent être liés, et il faudrait prendre conscience que le développement d’une recherche basée sur les preuves et l’éducation professionnelle et universitaire sont les composantes clés pour atteindre le professionnalisme et l’échéance dans le cadre de la pratique des itinéraires culturels.
Un obstacle important dans le processus de recherche de soutien pour les initiatives des itinéraires culturels – qui est partagé avec le tourisme culturel, met l’accent sur la destination, mais peut-être encore plus criant dans ce cas – est le manque d’outils suffisants pour justifier la contribution des itinéraires culturels au développement local, culturel, social et économique. Ce manque concerne la gamme entière du produit, de la discussion publique jusqu’à la prise de décision, le financement et les pratiques de responsabilité.
En accord avec la pratique actuelle qui traverse les industries
culturelles, on considère la responsabilité souvent en termes de fiscalité, et
on mesure la performance selon la production, plutôt que les résultats et les
impacts (typiquement considérés comme des externalités qui ne sont pas prises
en considération).
L’attention aux tableaux de bord, aux indicateurs de performance et à d’autres outils de gouvernance manquent toujours, ainsi que les aspects qualitatifs des résultats et des impacts des itinéraires culturels. Ceci est particulièrement important dans le cadre d’approches de la politique factuelle et culturelle.
Dans l’ensemble, les présentations de la table ronde et la discussion ont réaffirmé le besoin de développer des modèles économiques pour les itinéraires culturels, et d’établir leur rôle comme composante de la « Destination Europe », dans le cadre de considérations plus vastes et des progrès requis pour déterminer l’identité et la valeur fondamentale, la direction stratégique, la gouvernance, les politiques spécifiques concernant le soutien institutionnel, l’échange de connaissances, la responsabilité et la planification coordonnée des itinéraires culturels, en garantissant la participation active du gouvernement et de la société civile, et en contrôlant les synergies avec d’autres formes de tourisme et d’activité économique au niveau local.
Le plus significatif est que les modèles commerciaux pour les itinéraires culturels devraient soutenir leur rôle en tant que « zones de contacts » (terme utilisé par James Clifford), qui apportent un fonctionnement authentique, à une échelle humaine, fondée sur l’expérience, équitable, mutuellement gratifiante et durable pour le développement social, culturel et économique, et qui contribue à la préservation, l’accès continu et la participation au patrimoine florissant des cultures européennes.
Conclusions générales Michel THOMAS-PENETTE,
Directeur de l’Institut Européen des Itinéraires culturels |
Un Forum comme celui de Delphes qui fait suite à une très longue période d’expérimentation d’un programme toujours jugé comme fondamental par le Conseil de l’Europe, vient à point pour souligner un moment clef de la coopération que les Institutions européennes souhaitent engager en ce qui concerne le tourisme culturel de la « Destination Europe ».
Ce n’est pas que – au-delà de son impact interculturel, de son rôle essentiel en matière de coopération culturelle concrète – l’effet économique des itinéraires culturels en terme de développement local ne soit pas visible.
Les chiffres de
fréquentation des chemins de pèlerinage (plusieurs millions de marcheurs, de
cyclistes, de cavaliers…), le nombre croissant de collectivités territoriales
participant au programme (plusieurs milliers) et le finançant, le nombre
impressionnant de structures culturelles impliquées (plusieurs dizaines de
milliers) et enfin le nombre de territoires européens concernés montrent
aisément, sinon indirectement, un dynamisme économique puissant au sein d’un
secteur qui, pour certains pays d’Europe, constitue l’une des premières sources
de revenus.
Le programme des itinéraires culturels joue un rôle essentiel dans ce
que Nicolas Bouvier, le grand voyageur nommait « L’usage du Monde »
ou Jean-Marc Besse, le paysagiste : « Le Goût du Monde ».
Si on peut dire qu’il contribue, grâce au voyage et à l’esprit de découverte et de partage, à ré-enchanter l’idée d’une construction européenne, très malmenée par ailleurs sur le plan économique, il a besoin de manière urgente de définir avec précision ses modèles de fonctionnement.
Faute de quoi, la coopération souhaitée pour ce programme entre les secteurs des institutions européennes qui se préoccupent du dialogue culturel, de la mobilité des créateurs, de la mobilité des Européens au sens large, de l’intégration européenne, du développement régional, de l’amélioration du statut des petites et moyennes entreprises et du maintien du tourisme européen au plus haut niveau mondial, pour ne citer que quelques composantes indispensables au bon fonctionnement, ne saurait se mettre en place.
Dans la mesure où les conclusions des sessions plénières et les rapports des tables rondes ont déjà mis en perspective des secteurs importants qui ont fait l’objet d’analyses, de présentations concrètes et de suggestions opératives, il nous semblait important de remettre en avant deux domaines qui devraient permettre de commencer de répondre à ces problématiques.
Outils et Produits
Il est frappant de constater combien le programme des itinéraires culturels correspond à une traduction très concrète pour les citoyens des réflexions, des Conventions, Chartes ou Recommandations élaborées au sein du Conseil de l’Europe, de l’Union Européenne, de l’UNESCO ou de l’ICOMOS en matière de patrimoine culturel matériel, immatériel et paysager.
Les notions de patrimoine intégré, de
démocratie paysagère et celle du respect de la diversité culturelle sont
inhérentes non seulement à la préparation des itinéraires culturels, mais au
vécu quotidien de ceux qui accueillent et de ceux qui sont accueillis.
La richesse du contenu, la volonté de proposer de nouvelles destinations et des produits touristiques conçus dans un esprit durable et territorialisé, mais en respectant la dimension européenne, la mise en place d’un passeport eurocitoyen, le respect des démarches individuelles dans un esprit de rencontre, sont autant de nouveautés dans un paysage touristique européen qui avait eu tendance à se normaliser et donc à s’appauvrir, malgré la perception majoritairement « culturelle » des touristes qui visitent l’Europe.
Pour tout dire, avec les itinéraires culturels, c’est une démarche ancienne vers laquelle on est en train de revenir – Grand Tour, parcours de pèlerinages issus du Moyen Âge, parcours initiatique – mais en la proposant cette fois au plus grand nombre et plus seulement à une élite.
Grâce aux nouvelles technologies permettant la simulation, l’information en temps réel, l’intégration de l’information théorique et de l’information pratique, et la participation démocratique, les itinéraires culturels – pris dans une évolution plus générale du tourisme culturel – constituent un exemple frappant des théories d'Alvin Toffler sur la « Troisième Vague ».
L’innovation industrielle et technique, qui a été très longtemps au service de la standardisation, sert aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, à rendre la conception, la mise en oeuvre et la vente des produits touristiques plus flexibles, à répondre à une demande plus individualisée et à une interaction forte entre concepteurs, entreprises de services et clients.
Le dialogue des responsables d’itinéraires culturels avec les professionnels du tourisme, qui n’était certainement pas possible il y a vingt-trois ans à la naissance du programme, est devenu possible, non pas avec les grands groupes, mais avec les professionnels qui se sont tournés vers le tourisme de niche, le tourisme durable et le tourisme social.
Tourisme éthique et responsable - Nouveau paradigme touristique /
Nouveaux paradigmes économiques
Le tourisme classique
est fondé sur l’identification, voire la création artificielle d’un rêve
d’évasion, de dépaysement, d’inconnu qui s’est traduit par l’époque du
tourisme de plage et d’exotisme. L’industrie touristique a mis au service
de ce rêve une filière de plus en plus intégrée qui réunit dans le même capital
les moyens de transport, les structures d’accueil, les offres gastronomiques et
les visites touristiques. Si le produit peut s’adapter au plus grand nombre,
alors les prix peuvent être réduits, tandis que les bénéfices restent élevés du
fait de la standardisation réduisant les besoins en recherche et développement.
La culture de l’autre est alors réduite, le plus souvent à une vision
folklorique, caricaturale, d’un exotisme de pacotille.
Le tourisme culturel est fondé lui aussi sur un rêve d’évasion et de connaissance, de dialogue avec l’inconnu, avec l’autre, sur la recherche de l’émotion. Mais il exige une diversification des moyens de transport, dans le respect du développement durable. Il implique une expression réelle du désir personnel et une satisfaction de besoin de contact personnalisé. Il repose sur l’imaginaire littéraire autant que sur le besoin de connaissance. Par essence, dans un tel cadre, aucun voyage ne peut correspondre à un autre, ou plus exactement, la même proposition doit pouvoir s’adapter à des approches individuelles et culturelles très différentes.
Dans ce cadre là, aucune
intégration du capital n’est possible. L’économie du modèle est
décentralisée, elle doit permettre des retombées locales et nécessite un
partage des responsabilités.
La notion
de réseau est alors centrale.
Cependant, durant des années, le tourisme de masse et même le
tourisme culturel ont considéré la culture et le patrimoine comme des moyens
au service des produits et ont demandé à ces moyens de s’adapter aux
contraintes économiques du marché. Les business modèles du tourisme
culturel étaient au fond peu différents de ceux du tourisme en général ;
seuls les prix étaient plus élevés et en faisaient un tourisme d’élite.
On peut dire que le nouveau tourisme culturel est aussi un tourisme de « masse » puisqu’il touche des millions de personnes, mais il est éclaté en autant de démarches individuelles.
Autrement dit, le
succès du tourisme de pèlerinage, du tourisme de randonnée, du tourisme vert,
et dans lesquels les valeurs, le partage, le bénévolat, le partage des coûts
ont pris une importance considérable, a bouleversé ce concept économique.
Une économie sociale, prenant en considération le capital social – au sens de la définition de l’OCDE et des travaux du Conseil de l’Europe – a fait son entrée dans le domaine touristique, nous obligeant ainsi à repenser les modèles et à revoir les grilles d’analyses d’impact et la nature des indicateurs.
Les travaux de Joseph Eugène Stiglitz, pour ne citer qu’un seul auteur, remettant l’individu au centre des phénomènes économiques, replacent donc la culture individuelle au centre du désir économique et le partage au centre de l’économie touristique.
Un Forum comme celui de Delphes nous amène certainement à repenser la gouvernance et le modèle économique des itinéraires culturels dans le contexte de la réflexion de Philippe Madec, architecte, qui ouvrait la troisième table ronde :[1] Bien d’héritage qui descend suivant
les lois, des pères et des mères aux enfants. Dictionnaire de la langue
française de Littré.
Commentaires
Enregistrer un commentaire