Comité scientifique Chemins de Saint-Jacques de Compostelle. Réponse à une journaliste.
A destination de l'Institut européen des Itinéraires culturels :
A la suite de la question soulevée par la journaliste Lola Parra Craviotto, je peux vous apporter les précisions suivantes que j’ai remises en perspective par rapport à l’évolution de la méthodologie et du Règlement du programme des Itinéraires culturels :
Contexte
personnel :
Je n’ai eu à connaître les partenaires du premier itinéraire culturel du Conseil de l’Europe qu’à partir du printemps 1993
lorsque le Ministère de la Culture espagnol a demandé au Secrétariat de
préparer une réunion de « relance »
de cet itinéraire, réunion qui a eu lieu à Strasbourg six ans après le
lancement officiel et la Déclaration lue par Monsieur le Secrétaire Général
Marcelino Oreja en octobre 1987.
En vue de cette réunion, j’ai travaillé avec une chargée de mission, spécialiste du patrimoine, détachée à Strasbourg par le Ministère de la Culture espagnol.
C’est à cette occasion que l’ensemble du
programme des itinéraires a été réunifié au sein de la Division de la Culture,
puisque le suivi des Chemins de Saint-Jacques était resté jusqu’à cette date
dans le cadre de la Division du Patrimoine.
Ceci explique que je n’ai rencontré certains des
experts concernés que de 1993 à 2011, sachant que le travail de coopération
avec José Maria Ballester, tant durant les années suivantes au sein du Conseil
et à l’Institut européen des Itinéraires culturels (1994-2004), qu’après sa
retraite, m’a permis au cours de nombreuses conversations, de mieux apprécier
le parcours qui a conduit à la reconnaissance du premier itinéraire culturel.
Contexte plus général en ce qui concerne le Conseil de l’Europe :
La réunion de « relance » s’est par ailleurs inscrite dans un cadre plus
général de « restructuration »
et de « renforcement » du
programme, souhaitée par Madame la Secrétaire Générale Catherine Lalumière qui
avait demandé en 1990-1991 une évaluation à un expert indépendant, Madame
Anne-Marie Simon.
A noter que 1993 était une Année Sainte Compostellane et que Madame Lalumière s’est elle-même rendue à Santiago en octobre de cette année-là, en insistant dans son intervention sur l’importance de la création contemporaine, puisque deux compagnies théâtrale et musicale françaises ont organisé un processionnaire sur place, fondée sur le théâtre de masques (E Ultreia, spectacle par la Compagnie l'Arche de Noé, direction Guillaume Lagnel. Musique de l'Escola de Musica Galega. Coopération des Régions Midi Pyrénées (Occitanie) et Galice avec la ville de Rodez et le Théâtre du Champ d'Etoiles.
C’est enfin au cours de la réunion de Strasbourg qu’a
été décidé de confier de manière informelle le suivi territorial de
l’itinéraire à l’ACIR (Association interrégionale transpyrénéenne) qui est
aujourd’hui en charge du suivi des sites français des chemins, classés sur la Liste
du Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1998.
Ce n’est qu’à la suite de l’évaluation de l’itinéraire en 2011-2012 (première année d’évaluation dans le cadre de l’Accord Partiel Elargi) par Jordi Tresseras, à qui avait été demandé des recommandations susceptibles de permettre à l’itinéraire de répondre parfaitement aux critères du Règlement, que la Fédération européenne animée à ce moment-là par Gérard Beaume et présidée en 2012 par Laurent Wauquiez est devenue le réseau responsable de l’itinéraire – et donc de ce fait du suivi du Comité scientifique. Sans oublier l'Agence française des Chemins de Compostelle.
Table-ronde d'experts à O Cebreiro. XXème anniversaire des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe. Cliché MTP.
Rôle
des experts dans la naissance et l’accompagnement de l’itinéraire :
Contexte géopolitique :
Il faut de nouveau insister sur le fait, qu’en
l’absence de Règlement formel entre 1987 et 1998, aucune obligation n’était
faite pour la création d’un Comité scientifique. La pratique a donc varié d’un
itinéraire à l’autre jusqu’en 1998.
Le projet, puis la naissance du premier itinéraire
culturel, se sont appuyés sur la mobilisation et le travail d’experts
européens, réunis - pour la première fois - dans un cadre largement européen,
puisque si la pratique des Chemins avait repris dès les années qui ont succédé
à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ce n’est que quelques mois avant
l’adoption de la nouvelle Constitution démocratique espagnole en 1978, que
l’Espagne a adhéré au Conseil de l’Europe, en entrant de ce fait pleinement
dans les instances responsables de la mise en œuvre de la Convention culturelle
et des Conventions liées à la Culture, au Patrimoine et au Paysage qui ont été
adoptées après 1954.
Dans cette mesure, le lancement de l’idée du premier
itinéraire culturel par l’Assemblée Parlementaire en 1984, cinq ans après le
discours du Roi d’Espagne devant la même assemblée, constituait une
concrétisation très matérielle des nouveaux liens entre l’Espagne et les autres
pays démocratiques du continent européen.
La
réponse à la question de la journaliste s’inscrit donc dans ce contexte
géopolitique qui – qu’on me pardonne ce long préambule – méritait d’être remis
en mémoire pour ne pas générer d’anachronisme par rapport à la méthodologie et
au Règlement actuels.
Rôle des experts :
La Déclaration de Saint-Jacques de Compostelle du 23 octobre 1987 indique clairement dès son point 1, ce qui était attendu des experts :
Poursuivre le travail d'identification des Chemins de Saint-Jacques sur l'ensemble du territoire européen.
C’est en effet ce rôle qu’avaient été amenés à jouer un certain
nombre d’universitaires qui couvraient par leurs connaissances territoriales et
leurs travaux antérieurs, différents pays et / ou régions européens concernés.
Ces experts ont été contactés et / ou réunis par José Maria Ballester entre 1984 et 1987.
Ils peuvent donc être considérés comme « Les scientifiques qui ont confirmé l’importance du Chemin de Saint-Jacques pour l’Europe… » selon les termes employés par la journaliste.
Mais on ne peut pas
dire qu’ils ont contribué directement à la « constitution du dossier de candidature » au sens où l’exige
aujourd’hui le Règlement. Ce travail a été relativement informel et les
décisions se sont d’abord appuyées sur le travail inlassable de José-Maria
Ballester auprès des ambassadeurs des pays concernés en vue de l’adoption par le Comité des
Ministres.
Leur rôle a toutefois été majeur pour élargir à d’autres pays européens - Grande-Bretagne, Pays-Bas et Belgique, Allemagne, Autriche, Suisse,
Italie… - une initiative d’abord franco-espagnole
souhaitée par les Ministres Jorge Semprun et Jack Lang, avant que le Conseil de
l’Europe lui apporte ce caractère emblématique que constituent les valeurs
communes (tolérance, respect d’autrui, liberté et solidarité…) et qu’il lui
confère le rôle de « modèle »
pour de futures initiatives d’itinéraires culturels.
Il faut enfin noter
que certains de ces experts, ou certaines associations ont d’eux-mêmes
sollicité le Conseil de l’Europe :
Par exemple : « L’Itinéraire culturel européen a pour origine le souhait d'une action en faveur du chemin de Compostelle exprimé en mai 1982 dans une lettre adressée au Conseil de l’Europe par une association galicienne Los amigos delos Pazos. ».
Références des experts historiques
Une liste relativement complète figure dans le site
web de la Xunta de Galicia (onglet Comité international d’experts).
La plupart, quelle que soit leur discipline d’origine,
sont des hispanisants.
Je ne mentionne ci-dessous que les personnes que j’ai
rencontrées et avec lesquelles j’ai pu m’entretenir.
Quelques noms importants
La personnalité la plus emblématique est certainement le Marquis René de La Coste-Messelière dont le travail a essentiellement porté sur le tracé en Poitou-Charentes du « Chemin de Tours », mais dont la croisade inlassable en faveur du Chemin depuis l’après-guerre a marqué les esprits.
Il a longtemps animé la Société française des Amis de Saint-Jacques de Compostelle.
Je l’ai rencontré par deux fois peu avant sa
disparition en 1996. C’est sous son égide que s’est créé le Centre de Culture européenne de Saint-Jean d’Angély.
Il a également suscité de nombreuses vocations
scientifiques et, malheureusement, certains de ses élèves ont eu tendance à
créer des chapelles rivales, ce qui a contribué à la difficulté de fixer un
comité scientifique français à long terme. C’est l’une d’entre-elles, Adeline Rucquoi, qui préside
l’Association depuis 2007.
Le rôle essentiel de deux autres scientifiques mérite également d’être signalé. Il s’agit de Robert Plötz, disparu en 2017, créateur et animateur de la Deutsche St. JakobusGesellschaft et de Paulo Caucci von Saucken, Président du Comité d’experts de la Xunta et qui était présent à la réunion de Lucca l’an passé.
Outre son travail scientifique aux
Universités de Florence et de Pérouges, il anime une Confraternité de pèlerins
importante et a également contribué au travail scientifique sur la Via Francigena puisque les deux
itinéraires présentent des tracés communs en Italie.
Je ne saurais également oublier le rôle de Klaus Herbers pour ce qui concerne l’Europe du
Nord.
Si la plupart de ces scientifiques sont des
archéologues, historiens, médiévistes et presque obligatoirement des hispanisants,
quelques géographes ont été également mobilisés.
C’est le cas de Hans-Peter
Schneider qui, en 1987, travaillait pour l’Office géographique fédéral
suisse. On lui doit une étude détaillée des voies de pèlerinage haute et basse
(par Constance ou par Genève).
L’Office a été privatisé sous forme d’une Société
intitulée Via Storia qui publie
très régulièrement – y compris sur la Via
Francigena - et organise des voyages culturels. L’Université de Lausanne a
été également mobilisée dans ce cadre.
J’ai moins connaissance des travaux anglais portant - bien sûr - sur les routes maritimes, mais des publications à ce sujet figurent dans la bibliothèque de l’IEIC.
Des travaux universitaires ont été également menés
en Cornouailles anglaises puisqu’un itinéraire a été très tôt balisé entre la
côte nord et la côte sud où le Mont Saint Michel anglais a constitué un point
de départ des pèlerins vers la Bretagne, vers La Rochelle ou Bordeaux ou même
directement vers La Corogne.
Le rôle et la place des experts après
la Déclaration de 1987
Le Conseil de l’Europe a donc joué un rôle essentiel
pour identifier les experts les plus qualifiés et pour financer, dans un
premier temps, leurs réunions. Il a également financé l’étude ayant conduit à
la publication d’un manuel de signalétique, à son impression et à sa diffusion.
Mais le groupe d’experts initial, enrichi de nouvelles
personnalités au fur et à mesure de la disparition des « pionniers », a été ensuite pris en
charge matériellement par le gouvernement de Galice au travers du Xacobeo.
Des controverses entre experts ont donc pu naître à propos du tracé des « routes historiques » ou des « routes modernes », sachant que le Conseil de l’Europe - contrairement à l’UNESCO dans le cadre de la Convention du Patrimoine mondial - pour ce qui concerne l’Espagne (le Camino Francès) et la France (les sites individuels reconnus à ce titre -, n’a pas reconnu des tracés, mais l’idée même du pèlerinage et celle du cheminement, ainsi que la démarche de rencontre et de découverte de l’autre et enfin de l’identité européenne, enrichie de ses diversités, vécue concrètement par un cheminement commun de longue durée.
Une sorte de « laboratoire
de l’idée européenne à ciel ouvert » ou comme aime à la dire
José-Maria Ballester : un travail de « couture » pour réparer l’Europe sont au cœur de la démarche.
Les experts n’ont donc été de ce fait sollicités qu’individuellement
et de manière plus ponctuelle à certaines occasions : par exemple, réunion
de « relance » de 1993, rencontres
tri-nationales de lycéens dans les Centres de Culture européenne de Saint-Jean
d’Angély et Saint-Jacques de Compostelle, célébrations du XXème anniversaire
des itinéraires culturels au Puy-en-Velay et à Saint-Jacques de Compostelle en
2007, XXVème anniversaire du programme, XXème anniversaire de la Via Francigena , XXXème anniversaire du programme à Lucca…
Michel Thomas-Penette
19 juin 2018
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