Remise de la Mention Itinéraire Culturel du Conseil de l'Europe aux Sites clunisiens. Gabriella Battaini-Dragoni.
Discours de Madame Gabriella
Battaini-Dragoni
Monsieur
le Président
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis !
En arrivant à Cluny, j’ai été
bien entendu impressionnée par la grandeur de ces bâtiments, tout en sachant
que je ne pouvais les contempler dans leur état ancien. Ce regret légitime est
heureusement en partie comblé aujourd’hui par le magnifique travail de
reconstitution en trois dimensions que nous proposent les chercheurs.
Mais il est comblé en partie seulement, car une interrogation demeure sur ce qui se cachait derrière ces murs et surtout sur les fondements de leur histoire.
Cette question prolonge et élargit la réflexion que nous menons au Conseil de l’Europe en nous proposant d’approfondir le dialogue entre les religions, et ce grâce à un travail d’interprétation des patrimoines religieux, relus comme patrimoine commun de l’Europe et non tel un patrimoine des oppositions.
Je me permettrai de citer plusieurs auteurs qui ont participé à nos côtés, depuis l’origine de l’itinéraire de l’influence monastique, à cette réflexion sur les fondements mêmes d’un tel thème.
« L’obligation première des moines est de se suffire à eux-mêmes afin de pouvoir prier sans contrainte dans un lieu adéquat. » Nous dit très simplement l’historien Jean François Pernot lors de l’Université Européenne à l’Abbaye de Luxeuil en 2003.
Les bases du monachisme sont ainsi posées.
A l’Est de l’Europe ; Anca Vassiliu, philosophe et historienne de l’art affirmait en 1996 :
« La première composante du monachisme oriental est la prière du cœur » et elle ajoutait : « La deuxième composante du monachisme oriental est la tradition de la paternité spirituelle et la troisième est la voie intellectuelle et spirituelle du mystère. Il s’agit d’un rapport au transcendant qui prend la voie d’une recherche intellectuelle, artistique et musicale, soit un rapport qui passe par la médiation de la culture. »
J’ai été également frappée par la comparaison que fait François Lautier, sociologue et enseignant à l’école d’architecture de Paris La Villette, sur la pensée de l’espace et de l’organisation, en comparant le monachisme médiéval à l’organisation des entreprises économiques aujourd’hui.
Enfin, j’ajoute à toutes ces notions déjà très fortes, celle de la puissance des réseaux qu’évoquait l’un d’entre vous, Robert de Backer :
« En quelques deux siècles, l’abbaye de Cluny a étendu son influence à une grande partie de l’Europe de l’Ouest. C’est le fruit d’une conjonction favorable entre les personnalités exceptionnelles des premiers abbés qui ont assuré la continuité de l’œuvre, des réseaux aristocratiques de l’Europe naissante auxquels ils appartenaient souvent, et des circonstances bénéfiques. »
Mais face à ces formules - clefs : réseau d’influence, organisation des entreprises, culture du cœur, voie intellectuelle du mystère, médiation artistique et musicale de la culture, nous sommes confrontés à des notions dont la compréhension ne requiert pas seulement une connaissance intellectuelle, mais aussi une perception sensible.
Certaines d’entre-elles, par leur
grande actualité sociale peuvent toucher dans leur plus profonde intimité, dans
leur identité même, ceux qui visitent ces monuments aujourd’hui. Il s’agit en
particulier d’une empathie avec la pratique religieuse – et pour beaucoup
d’entre-nous, à l’Ouest de l’Europe, avec la pratique religieuse de
« l’autre ».
Ceci signifie donc que le grand enjeu d’un itinéraire culturel tel que le vôtre, dont l’objet est de vouloir créer de nouveaux horizons pour les touristes, en ouvrant au public des patrimoines religieux remarquables, mais aussi d’autres plus secrets, plus retirés du monde, ne peut passer seulement par le fait d’inscrire un thème religieux dans le cadre prestigieux du programme d’une institution européenne.
Il s’agit aussi d’une mission plus complexe, plus délicate, puisqu’il vous faut entreprendre la médiation de ce qui compose les formes de la spiritualité propre à l’Europe, de mieux donner à comprendre les codes des patrimoines religieux, ou d’illustrer les raisons et les formes des continuités historiques de la pratique du pèlerinage, pour revenir enfin sur les emprunts que les religions ont pu se faire les unes aux autres.
Vous restaurez, vous préservez, vous animez ces lieux du monachisme dont Michel Wolkowitsky affirmait en 1996 qu’ils témoignent d’une «… épopée demeurée inégalée dans sa durée malgré les coups assénés par les vicissitudes de l’histoire » et dont la continuité « n’a jamais été interrompue depuis l’origine de la chrétienté jusqu’à nos jours ».
Mais cette intégration dans le cadre des itinéraires culturels implique également que nous recherchions à vos côtés à mieux faire comprendre une des composantes religieuses de l’Europe et ce justement en tant que telle, en n’ayant cependant de cesse de la considérer dans le contexte d’un dialogue permanent avec les autres composantes du monachisme.
Il s’agit en effet de formuler un message sur l’essence de vos patrimoines, mais aussi d’un message politique dressé contre des intolérances quotidiennes qui prennent appui sur de nouveaux intégrismes religieux, des intolérances qui ne restent pas seulement verbales, mais constituent des sources de conflits communautaires ou ethniques dramatiques.
Pardonnez moi d’être ainsi revenue un peu longuement aux valeurs fondamentales des Droits de l’Homme que défend notre Organisation, mais je tenais à vous dire combien ces dimensions immatérielles universelles reliant le passé et le présent, l’histoire de ces lieux et les fondements du Conseil de l’Europe m’ont particulièrement touchée dans l’histoire de ces murs qui ont accueilli la prière.
Je tiens cependant pour terminer à revenir sur l’importance d’autres Conventions du Conseil de l’Europe qui prolongent la Convention Européenne des Droits de l’Homme ou la ConventionEuropéenne de la Culture.
Si ces dernières vous guident déjà dans votre quotidien de responsables du patrimoine, en mettant maintenant en œuvre cet itinéraire culturel européen, vous allez avoir le devoir de les rendre encore plus perceptibles du grand public et à les enrichir des dernières réflexions des experts sur l’importance de la dimension sociale de ces lieux.
J’insisterai en particulier sur deux nouvelles conventions de notre Organisation ces dernières années et qui marquent une réelle avancée dans la perception et l’approche de la gestion du patrimoine, renforçant ainsi nos activités d’assistance sur le terrain.
Premièrement, la Convention européenne du paysage, qui définit le paysage non seulement comme une composante du bien-être et de la qualité de la vie, mais aussi comme une ressource importante pour l’activité économique, et notamment le tourisme. En raison des modifications souvent profondes de l’environnement qu’entraîne l’évolution de l’agriculture, de l’industrie, des transports et de l’urbanisme, cette convention énonce les principes généraux de politiques nationales du paysage et met en évidence les rôles respectifs des pouvoirs publics et des citoyens.
La deuxième convention, ouverte à la signature il y a quelques mois, est la Convention cadre relative à la valeur du patrimoineculturel pour la société. Celle-ci réactualise la notion de gestion du patrimoine en établissant un partage de la responsabilité pour la préservation et l’usage du patrimoine entre pouvoirs publics et société civile.
Vous l’aurez remarqué : ces deux textes introduisent des conceptions réellement nouvelles dans notre société en ce qu’ils en appellent, d’une part, à une approche intégrée du patrimoine par le biais de stratégies nationales d’ensemble et, d’autre part, à une gestion essentiellement démocratique du patrimoine.
Et il va de soi qu’une telle approche doit reposer sur une implication renouvelée de la société civile et une relation de travail plus étroite encore avec des partenaires tels que vous-mêmes. Car, sans l’appui déterminé du public, sensibilisé par des campagnes et des actions concrètes, ces mesures courageuses ne sauraient porter pleinement leurs fruits.
Tout se tient dans nos démocraties ! Sans une vision claire de nos responsabilités partagées, sans une consultation et une implication, certes des institutions et des pouvoirs publics, mais de plus en plus des citoyens et des réseaux européens qui, comme le vôtre fédèrent et renforcent les initiatives, nous perdons peu à peu ces valeurs qui sont notre véritable raison d’être.
La démocratie paysagère et la médiation européenne du patrimoine en font partie.
Mesdames et Messieurs,
Il me reste à vous remercier, tous, de votre engagement couronné par cette belle réussite. Nous sommes évidemment particulièrement redevable à vous, monsieur le Président Gaudard et à celles et ceux qui vous ont accompagné et soutenu ici en France mais aussi dans les pays voisins dans la constitution ce bel Itinéraire.
Mais nous pensons aussi aux personnes, aux associations et aux institutions publiques qui ont cru en cette œuvre commune et l’ont appuyée.
Et, une fois de plus, rendons hommage au soutien de l’Institut des Itinéraires Culturels Européens au Luxembourg, de son directeur, Michel Thomas-Penette et de toute son équipe.
Ce sont eux qui gardent la mémoire de ce programme qui continue avec un succès croissant de se mettre en place en Europe depuis vingt ans et constituent le lien permanent entre vous et nous.
J’ai maintenant le grand plaisir de remettre à l’Itinéraire Européen des Sites Clunisiens le diplôme de « Grand itinéraire culturel du Conseil de l’Europe ».
Article sur Madame Gabriella Battaini-Dragoni.
Clichés MTP.
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