Discours de M. Andrei Gabriel Pleşu, Ministre des Affaires Etrangères du Gouvernement de Roumanie lors de la cérémonie de lancement de la Campagne du Conseil de l’Europe « L’Europe, un patrimoine commun ». 1998.


 

Atheneum roumain, Bucarest le 11 septembre 1999

 

Monsieur le Premier-Ministre,

Monsieur le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,

Chers collègues,

 Chers invités,

 

Aujourd’hui, chaque fois que nous parlons de l’Europe, nous avons tendance à abuser d’une rhétorique du futur. « L’Europe du troisième millénaire », « L’Europe de demain », « Le grand projet de l’Europe unie » en sont les expressions-clefs. 

Il est normal qu’il en soit ainsi : les gens ne peuvent pas vivre sans faire des plans; en particulier les politiciens ne peuvent vivre sans faire des promesses. Mais au-delà d’une Europe qu’il faut construire, il existe aussi une Europe qu’il faut consolider, qui s’hérite et qui se laisse en héritage. C’est l’Europe des valeurs patrimoniales. Et nous sommes reconnaissants au Conseil de l’Europe pour son initiative actuelle, une initiative qui vise à assurer au futur un passé, c’est-à-dire une base durable. 

Le futur ne peut pas se construire sans mémoire. L’Europe dont nous avons besoin pour ouvrir le grand chantier de notre destin de demain est le produit d’une lente accumulation de la tradition. Sans le sens de la tradition, l’euphorie de construire devient une aventure risquée, un jeu irresponsable. sans le sens de la tradition, l’euphorie de construire aboutit, paradoxalement dans le culte de la démolition, un culte que le communisme a servi sous nos yeux, pendant des décennies entières avec une dévotion criminelle. 




Voilà pourquoi l’Europe de l’Est et Bucarest sont particulièrement bien choisis comme territoires-cibles de cette Campagne. dans cet espace, le passé patrimonial a été victime d’un assassinat systématique. Les monuments, les valeurs, les grands repères historiques et culturels, ont été érodés non seulement par le temps qui passe et par la négligence des gens, comme c’est le cas d’habitude. Ils ont été aussi disloqués par une idéologie, sacrifiés au nom du politique. 

C’est pourquoi les politiciens d’aujourd’hui - de l’Est et de l’Ouest - doivent faire le geste réparateur d’une restauration. C’est justement le cas d’une Campagne comme celle-ci, patronnée par l’esprit unificateur du Conseil de l’Europe.





Le patrimoine européen commun implique non seulement une leçon sur le fait d’assumer le passé, sur la responsabilité et le miracle de la diversité. Il jette une lumière à part sur le problème aigu de l’intégration européenne. L’intégration est, bien sûr, avant tout, une laborieuse opération d’harmonisation des lois, de l’argent et des procédures administratives. Le jargon de la propagande communiste aurait défini ce qu’on nomme « acquis communautaire » comme « l’effacement des différences entre l’Est et l’Ouest ». Mais si certaines différences doivent être effacées, d’autres doivent être intégrées en tant que différences.

« L’acquis » communautaire est un acquis des ressemblances imposées. L’acquis patrimonial en est un des différences assumées. De par son patrimoine, l’Europe est déjà unitaire et intégrée. Non pas comme monoculture aux règles fixes, mais comme un jardin multicolore aux espèces distinctes, sans autre règle que celle de l’harmonie qui prend sa source dans la liberté.

Chers invités, chers invités de l’Ouest,

Pendant longtemps on a interdit à l’Est européen de s’adresser à l’Ouest. 

Maintenant nous pouvons vous dire, enfin, que vous rencontrer apporte joie et espérance. Donnez-nous une chance pour l’avenir, et nous allons, à notre tour, vous donner une partie de votre propre passé. Nous sommes une partie de votre patrimoine. Récupérez-nous.

AndreiPleşu

Bucarest le 11 septembre 1998

Clichés de Bucarest 2001-2005. MTP.

 


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