M. Felipe Lopez, Architecte. Patrimoine, projet urbain et cohésion sociale.
Je voudrais tout d’abord remercier le Conseil de l’Europe pour l’organisation de ce colloque et pour le lancement de la Campagne "L’Europe« , un patrimoine commun" et le remercier aussi pour m’avoir demandé de présenter à cette occasion l’exemple de Lisbonne. Je vais vous parler, comme base de ma réflexion, de ce que nous faisons à Lisbonne dans les quartiers historiques. Je préfère d’ailleurs les nommer les vieux quartiers. Il s’agit en fait d’une réhabilitation de ces vieux quartiers mais en gardant leur origine en s’appuyant sur la volonté des habitants qui y vivent.
Dans presque toutes les villes européennes et dans le reste du monde, le centre ville du fait de son vieillissement devient progressivement un habitat rejeté, à détruire. Dans cette première attitude, les habitants qui y étaient, on les a mis on ne sait pas très bien où, mais probablement vers les périphéries.
La seconde attitude, c’est une attitude plus intellectuelle, plus patrimoniale. On considère que la ville ancienne il faut la préserver, la réhabiliter et la garder. Ça fait partie de l’histoire et des mémoires, alors on cherche des moyens de la préserver, de la réhabiliter. Mais comme ça coûte de l’argent, alors généralement on fait ça en transportant les vieux habitants qui sont pauvres et qui ne peuvent pas payer la réhabilitation, dans les H.L.M. de la périphérie. Ensuite, où bien ce sont les activités économiques qui vont faire la réhabilitation, ou bien les gens qui ont le pouvoir ou l’argent. C’est le cas du centre historique de Zürich, du Vieux Lyon, du Marais ou de l’Ile Saint-Louis à Paris.
Dans notre pays, il y a eu un phénomène, dont vous avez probablement entendu parler, c’est ce qu’on a appelé le 25 avril, la Révolution des Oeillets. Cela a amené une reprise en main par les habitants qui avaient été muselés par cinquante ans de dictature. Ils ont commencé à réclamer - surtout dans le bidonvilles - mais aussi plus lentement dans les vieux quartiers où on vivait mal, sans salle de bain, avec la pluie qui pénétrait. Les logements étaient dégradés et la population était pauvre et âgée.
Ces mouvements ont réclamé de la part des pouvoirs publics qu’on fasse quelque chose. Mais pas qu’on les mette ailleurs. Non, ils ne voulaient pas partir de leur quartier. Ils y tiennent, car ce quartier est leur tissu social, leur lien de solidarité, l’endroit où ils ont leur famille, leurs amis, quelqu’un qui peut toujours venir les aider si ils sont malades. Ils se connaissent, ils se retrouvent dans la rue puisque les logements sont petits. Je vous raconterai une toute petite anecdote à ce sujet. Dans une rue il y avait une vieille dame qui voit passer un jeune et qui lui dit : « Hier soir tu es rentré très tard ». L’autre s’est excusé. Alors j’ai demandé : « C’est son petit-fils? ». Et on m’a dit, non c’est la voisine. Il y a donc un contrôle social. C’est le lien social.
Vous savez certainement combien ça coûte,
l’exclusion, la drogue ? Et combien on économise en les évitant ? C’est le
premier échelon de la société. Il y a un contrôle social des uns par rapport
aux autres. Les gens vivent ensemble et se soutiennent. C’est ça qu’on essaye
de sauver. Pour cela il faut faire la réhabilitation des logements, des
vieilles maisons en leur donnant des conditions correctes. On ne fignole pas.
On fait le minimum parce qu’il faut être à la mesure des moyens des gens. On
n’a pas beaucoup d’argent généralement, mais on n’est pas les seuls.
Je pense qu’en Roumanie la situation est comparable, en Bulgarie aussi et partout dans le monde. Il y a des tas de villes des pays où les moyens sont insuffisants pour les besoins de tout le monde. Il faut faire des économies. Mais il faut faire la rénovation, la réhabilitation avec des critères, en ayant le patrimoine comme fond de pensée. Nous savons que nous travaillons sur la vieille ville où chaque maison est importante, même si c’est une maison modeste. C’est bien là qu’il faut discuter la notion de patrimoine. Qu’est-ce qui est patrimoine ? Pour nous, le patrimoine c’est tout ce que les gens nous ont légué, que ça ait une grande valeur artistique ou pas. C’est un patrimoine, c’est un héritage et nous n’avons pas le droit de l’ignorer dans nos sociétés qui ont toujours des moyens limités. D’ailleurs même les sociétés riches ont des moyens limités, surtout si elles veulent considérer l’aide aux sociétés moins riches. Il est indispensable de distribuer l’argent de la meilleure façon. Ça a un autre avantage : on est dans la ligne écologique. Quand on démolit, on a des tas de gravats dont on ne sait pas quoi faire. Ça pollue la nature, ce sont des déchets et en plus pour transporter ces matériaux qui ont été fabriqués, il faut de l’énergie. Pour les mettre en oeuvre il a fallu également de l’énergie. Tout cela alors qu’on peut les réutiliser.
Evidemment dans la société de consommation, on ne raccommode plus les
chaussettes. Mais les maisons ce ne sont pas des chaussettes. Il faut donc
penser que la réhabilitation doit être faite selon les règles minimum. On nous
dit : mais ca ne satisfera peut-être pas les gens dans dix ans, quinze ans.
Mais celui qui viendra après, il essaiera de résoudre le problème, si il en a
les moyens. Il faut qu’on résolve le plus de problèmes possibles pour le plus
de monde possible, avec les moyens dont on dispose et qui sont limités.
Pour le patrimoine, il y a un autre avantage, celui de l’authenticité. Plus on démolit, plus on perd l’authenticité. Le second avantage de garder la population au centre de la ville, c’est garder la mixité de la ville C’est éviter que les gens soient déplacés vers la périphérie.
A Porto ils ont commencé les réhabilitations en 1974, après la Révolution. Ils vont plus lentement. Ils font certainement les choses mieux. C’est plus parfait. Mais pour faire plus parfait, il faut faire des maisons plus grandes. Alors comme il y a trop de gens, on met une partie des gens en périphérie. Nous on garde tout le monde. Ce rejet a deux effets. D’abord la ville se désertifie. Dans le centre de la ville de Porto les commerces se plaignent du manque de clients, ce qui est évident. On a fait des études vingt ans après et on a vu que les taux d’exclusion et de marginalité avaient été déplacés vers les périphéries. Ils y sont de beaucoup supérieurs à ceux des populations qui sont restées sur place. Justement parce qu’il n’y a plus de contrôle social. Une ségrégation est effectuée dans l’espace.
Donc défendre la mixité, c’est défendre toutes ces valeurs, en fait les valeurs de la ville européenne, la ville de la rencontre, la ville où les gens se connaissent. C’est la ville de l’agora, c’est la ville du forum, de la rambla, où les gens se retrouvent, se rencontrent. C’est la ville de la convivialité. C’est à cause de tout cela que nous avons convié le Conseil de l’Europe. Quand on fait quelque chose au bout de l’Europe on n’est jamais très sûr d’être sur le bon chemin. Alors la ville de Lisbonne a demandé au Conseil de l’Europe de faire l’expertise pour voir si ce qu’on faisait allait dans le bon sens. Ils ont créé une étude sur notre expérience. Ils nous ont pompeusement nommé « La méthode de Lisbonne ».
Alors nous sommes
très heureux de figurer dans le sein de cette Campagne pour l’Europe. C’est
très modeste, mais ça peut vous faire réfléchir sur des choses qui sont très
importantes. Quand on parle de patrimoine, on parle généralement des choses qui
sont belles : l’art, la beauté, l’architecture. Mais en premier lieu le
patrimoine c’est ce que les générations qui nous ont précédé nous ont légué et
que nous devons utiliser pour le bien être des populations actuelles, celles
qui préparent le futur.
Lisbonne. Cliché MTP.
Campagne "L'Europe, un patrimoine commun".
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