Michel Thomas-Penette. 2002. La pierre sèche. Mise en valeur d'un patrimoine commun européen.
Chers amis,
Les occasions de se réunir autour d'un patrimoine commun à l'Europe sont trop rares pour que je ne ressente pas une grande tristesse au fait de ne pas pouvoir être parmi vous durant ces trois jours qui concrétisent le travail considérable accompli au sein de l'Université Roviga i Virgili de Tarragone au cours de ces derniers mois. Je sais que vous avez fait de cette réunion une réussite à la fois pratique et scientifique, puisqu'il s'agit de réunir des connaissances universitaires et techniques, mais aussi de défendre des savoir-faire dont la disparition laisserait un pan de l'histoire de l'architecture en déshérence.
Laissez-moi en un mot vous dire que je préférerais de beaucoup continuer à Tarragone le travail entrepris dans l'amitié en Grèce et en Italie que de travailler sur les budgets et les textes du prochain Conseil d'Administration de l'Institut Européen des Itinéraires culturels qui a lieu au lendemain de votre réunion. Chaque structure traverse des crises de croissance au cours desquelles l'effort intérieur est accru.
Si la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l'Europe nous a apporté les moyens de créer un site web, portail de grandeampleur sur les itinéraires et le paysage culturels européens, fondé sur une base de données, qui constitue en elle-même un challenge important, elle nous a aussi obligé à un grand effort diplomatique pour préparer un accord politique élargi (1) qui puisse placer à coté du Grand-Duché d'autres pays partenaires, et tout particulièrement les pays les plus éloignés de nous dans l'Europe de l'Est, de la Mer Baltique et du Caucase.
Ce surcroît d'efforts nécessitant rencontres et voyages nombreux ne nous a pas laissé aussi libres que nous le souhaitions pour être aussi souvent que nécessaire, près de vous.
Il va de soi que le témoignage de Madame Claudia Constantinescu, expert de l'Institut, qui présentera son travail de recherche documentaire sur les architectures en pierre sèche de la Roumanie et à qui j'ai demandé de vous lire ces quelques mots au nom de l'Institut, est une indication des efforts que nous faisons pour que l'espace européen commun dont nous parlons ensemble soit le plus étendu et le plus "réel" possible sur le plan historique comme sur le plan géographique.
Je retiens de votre réunion et du travail entrepris sur le site des indications contradictoires dont vous saurez prendre la mesure.
Il est en effet urgent de protéger, de conserver, de restaurer et de transmettre, dans un cercle de spécialistes, mais il semble tout aussi urgent de populariser, de faire découvrir, d'attirer des regards nouveaux, dans un cercle élargi aux touristes. C'est en soi une contradiction sur laquelle il nous faudra travailler.
Dans l'ensemble des paysages méditerranéens qui vous sont familiers, mais plus largement dans toutes les civilisations agricoles qui ont eu à travailler en s'affrontant à un sol souvent dur et hostile, des solutions architecturales ont été mises au point, spontanément, en raison de l'usage et des conditions géomorphologiques.
Elles prennent des formes comparables, qui se fondent sur des solutions d'économie et d'utilité, mettant du coté des habitants et à leur service les forces naturelles, dans une forme de développement qu'on qualifierait aujourd'hui de "doux" ou de "durable". Les écosystèmes ainsi créés ont à la fois conservé l'espace naturel et l'espace culturel, protégeant les espèces, découpant les propriétés, séparant les troupeaux, tout en incluant l'espace habité temporairement ou à demeure.
Pour moi qui ne suis pas un spécialiste de ces questions, vous m'avez permis de découvrir un trésor ancien, fragile, fondement de civilisation et je vous en remercie. Mais en même temps, vous m'avez fait mesurer combien cette fragilité, tout comme la disparition des valeurs d'usage qui l'avait fait naître, menaçait de disparition ce lien avec le passé.
Le Mémorandum Européen que vous souhaitez préparer sera de ce point de vue extrêmement utile. Il viendra compléter les chartes et les conventions mises au point par les organisations internationales, tout en pointant du doigt un élément fondamental de notre patrimoine commun. Soyez certain que l'Institut Européen des Itinéraires culturels et que le Conseil de l'Europe s'associent à cette démarche et la présenteront aux responsables des pays membres.
Mais je suis tout autant certain qu'à la suite de la mise en ligne d'un site web qui veut à la fois faire connaître et proposer des parcours, il nous faudra également travailler à accompagner la popularisation de ces architectures et à éduquer les visiteurs car le tourisme culturel fondé sur le patrimoine est toujours un tourisme à risques, menaçant par la pression ce qu'il propose à la découverte.
Nous avons appris à travailler ensemble, à réunir des images, des mots et même des définitions, en comparant les termes vernaculaires. Nous espérons avoir fait œuvre d'interprétation européenne mais nous lançons ainsi tous ensemble un nouvel axe de découverte de l'Europe multiple et nous prenons au fond une grande responsabilité. C'est pourquoi je sais que cette réunion qui vient clore presque une année de travail est en même temps un commencement.
Intérieur d'un trullo. Alberobello. Cliché MTP.
Le site web de la pierre sèche, tout comme les conclusions de ces journées européennes viendront s'inscrire dans un travail inépuisable et à long terme qui va de la réconciliation des peuples européens à l'éducation des plus jeunes, de la relecture du passé, à l'apprentissage d'une citoyenneté commune.
Encore une fois, j'espère que vous aurez compris que je préférerai à l'aridité des chiffres la chaleur du partage et des discussions qui font avancer la réflexion.
Je vous souhaite du fond du cœur une réunion très fructueuse.
Michel Thomas-Penette
Luxembourg le
3 juillet 2002
(1) L'Accord partiel élargi (APE) n'a pas été mis en place en 2003 le nombre de pays potentiellement intéressés n'ayant atteint que 20 (21 étaient nécessaires). Il n'a été ouvert à signature qu'en 2010 grâce à un changement du Règlement ramenant à 13 le nombre de pays nécessaires. Ce changement du Règlement dû à Madame Gabriella Battaini-Dragoni a sauvé le programme des Itinéraires culturels que le Secrétaire Général souhaitait faire sortir du budget général pour des raisons d'économie.
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