Michel Thomas-Penette. Le programme des itinéraires culturels et l'application de la Convention Européenne du paysage. Septembre 2002.
Avant tout, je tiens à remercier les organisateurs
de ce forum consacré aux rapports entre culture et nature, dans le contexte de
la Convention Européenne sur le Paysage : l'Association Plaza Porticada dont
l'accueil et la parfaite organisation ont apporté à cette rencontre un
véritable caractère de confrontation et
de partage, ainsi que l'Université Internationale Menendez y Pelayo qui avait
déjà accueilli voici huit ans le séminaire de clôture de la Commission espagnole
de la soie, rendant ainsi possible un bilan complet des routes de la soie européennes dans la péninsule ibérique, de l'époque médiévale à l'époque
industrielle.
Je remercie également le Directeur de la Culture et du Patrimoine Culturel et Naturel, José Maria Ballester d'avoir ainsi donné l'occasion à l'Institut Européen des Itinéraires culturels de présenter à cette occasion un bilan complet du travail entrepris par l'Institut sur l'itinéraire des Parcs et Jardins et sur son application au Paysage.
A/
INTRODUCTION
A 1 / Un concept intégrateur
Il nous semble important de rappeler en introduction
que la notion d'itinéraire culturel
recouvre depuis l’origine un concept large et intégrateur.
On peut en effet affirmer que la création du programme des Itinéraires culturels constitue, par son "invention" en 1987 le premier programme transversal permettant de créer des liens étroits entre des secteurs de travail de l'Institution qui restaient auparavant encore trop fragmentés entre l'action culturelle d'un coté et le patrimoine culturel et naturel de l'autre.
L'ouverture à la signature de la Convention Européenne du Paysage a depuis deux ans renforcé cette démarche ouverte d'intégration et constitue donc par conséquent un tournant dans la mise en œuvre du programme des Itinéraires culturels dont l'Institut avait tiré à priori les conséquences en introduisant progressivement dans l'itinéraire des Parcs et Jardins une ouverture vers le paysage.
Les Itinéraires culturels reposent sur trois notions complémentaires :
-
un grand thème européen élu
par le Conseil de l'Europe sur la base des priorités politiques de
l'Institution,
-
un ensemble d'actions
coordonnées par l'Institut,
- et un ensemble de réseaux européens qui prennent en charge la mise en œuvre des différentes actions en relation avec l'Institut.
Les domaines d'actions ont été précisés en 1998 par
un Règlement et elles sont complémentaires.
En effet, ce n'est qu'une fois que les quatre
premières catégories ont trouvé un début de concrétisation (Recherche sur les
valeurs européennes du thème, travail sur l'interprétation et la médiation
européennes du thème, mise en œuvre d'actions en direction des jeunes
Européens, mise en œuvre d'actions concernant la création contemporaine ou les
savoir faire) que le développement de projets de tourisme culturel inscrits
dans la durée peut avoir vraiment lieu.
Il faut insister sans cesse sur ce point.
Le tourisme culturel, au sens où le Conseil de l'Europe souhaite le promouvoir, repose :
-
sur la recherche préalable des valeurs fondamentales contenues dans les
thèmes choisis;
-
sur l'analyse du discours d'appropriation qui est tenu collectivement
par les responsables sociaux des thèmes choisis;
-
et enfin sur la construction du discours ouvert d'interprétation qui en
sera proposée aux visiteurs.
A 2 / Un outil politique
Les
Itinéraires répondent également à des priorités politiques définies par l'Institution
dans le cadre d'un travail de "réparation"
de l'Europe : renforcement des valeurs démocratiques, dialogue
inter-religieux, défense des minorités, et bien entendu application concrète
des Chartes et des Conventions et mise en valeur des "bonnes
pratiques".
Au-delà d'une "collection" de lieux, de sites ou d'événements, il s'agit donc bien d'un travail pratique de coopération culturelle et patrimoniale au sens large qui doit s'étendre à un maximum de pays européens en fonction de la réalité transnationale des thèmes.
Nous souhaitions également souligner combien ce programme peut trouver sa pertinence dans la mise en application de textes légaux avant même qu'ils aient été ratifiés. Il constitue même un outil de conviction permettant de démontrer le bien fondé des conventions.
A 3 / Un outil de mémoire
Le programme des itinéraires culturels répond enfin à un travail de mémoire.
De nombreux observateurs européens ont mis en avant les grands changements politiques, économiques et sociaux qui ont affecté l'Europe ces cinquante dernières années. Ils ont été accompagnés d'un basculement de génération, entraînant une perte de mémoire concernant ces transformations de la part des plus jeunes générations.
Ces changements ont de plus atteint des stades très différents selon que l'on s'adresse à l'Est ou à l'Ouest de l'Europe. Pour ne prendre qu'un exemple simple, l'expérience du totalitarisme politique n'est plus transmise en France et en Allemagne que par les livres d'histoire, alors qu'en Espagne ou au Portugal elle peut encore l'être par les parents et les grands-parents et qu'enfin, pour une grande partie de l'Europe Centrale et Orientale, même les adolescents peuvent en avoir le souvenir concret.
Si on en revient au paysage, le même phénomène est
perceptible. La partie de l'Europe la plus développée ne connaît plus la
société rurale traditionnelle que par les romans et les ouvrages d'ethnographie
et n'a de vision de la production agricole qu'à travers l'image télévisée des
manifestations des agriculteurs et qu'à travers le présentation aseptisée des
rayons des supermarchés.
Par contre, dans une grande partie de l'Europe méditerranéenne, ainsi que de l'Europe Centrale et Orientale, les familles urbaines gardent encore de fortes attaches avec ceux de leurs parents qui sont restés dans l'espace rural. Ils gardent le souvenir intact des pratiques et des modes de vie du monde rural, quand ils ne partagent pas leurs activités entre les deux mondes.
L'établissement de collaborations entre les deux Europes enfin réunies, permet donc de mettre en lumière de manière comparative, c'est à dire tangible, des notions aussi importantes que : la prévention des conflits, la transformation de la société traditionnelle rurale, le passage de la société industrielle à la société post-industrielle et la transformation du paysage comme espace d'un travail, en paysage comme lieu d'exercice des loisirs.
B / UN
EXERCICE METHODOLOGIQUE
Le thème des
Parcs et Jardins, élu par le Conseil de la Coopération Culturelle en 1992, a
été choisi avec celui de l'influence monastique pour mener à bien une étude
méthodologique. Il a en particulier permis d'expérimenter des actions
pédagogiques et de trouver des coopérations avec l'Est de l'Europe. Compte tenu
de son caractère pluridisciplinaire - un jardin est en effet par essence un
lieu de rencontre entre les cultures scientifique, technique et artistique - et
de son ouverture au paysage culturel, il constitue un des champs d'application
et d'illustration privilégié de la Convention Européenne du Paysage.
B 1 / Définition des axes de travail
L'exercice méthodologique a débuté par une réunion
d'experts qui s’est tenue à la Palazzina di Caccia di Stupinigi près de Turin
fin 1992. Les experts présents : botanistes, architectes, historiens,
conservateurs de jardins, agronomes, créateurs, enseignants… ont su mettre en
évidence toutes les implications théoriques et pratiques de ce thème, à tel
point que dix années après, toutes les actions entreprises sont encore fondées
sur cette première confrontation pluridisciplinaire et que la plupart des concepts mis en avant peuvent également trouver
leur application dans le domaine du paysage.
Responsabilité - Citoyenneté :
Parcs et
jardins sont par nature des sites dont la responsabilité se transmet au cours
des âges,
mais aussi des sites sur lesquels le travail effectué dans l’instant présent ne
trouvera une partie de ses résultats que plusieurs dizaines, voire plusieurs
centaines d’années plus tard. Il assure donc un lien, une continuité et même
une coopération entre les générations.
Il en est de même en ce qui concerne l'entretien et les choix d'aménagement des paysages dont la Convention souligne par ailleurs parfaitement la responsabilité collective. Il ne s'agit pas de décisions à court terme, mais au contraire d'un arbitrage entre des types d'usages différents dont les effets se traduiront graduellement sur le long terme et d'un engagement sur les modes et les qualités de vie des générations futures. Les responsabilités qui s'exercent en ce qui concerne les parcs et les paysages constituent donc de véritables exercices de citoyenneté.
Territorialité - Emprunts :
Un jardin est
toujours ancré dans un territoire, mais il est en même temps un lieu de mélange, de
greffe et d’hybridation tant des cultures savantes que des pratiques
horticoles. Un jardin, ne serait-ce que par la variété des origines des plantes
qui s’y trouvent, constitue une ouverture sur le monde. Dans nos sociétés
multiculturelles, il permet à chacun de retrouver des éléments de sa propre
culture et de comprendre, intellectuellement et pratiquement, comment les
cultures interfèrent et se combinent.
Un paysage
appartient lui aussi à un territoire précis caractérisé par des éléments
géomorphologiques et modelé par les éléments naturels et par l'activité
humaine. Mais cette activité, parfois intensive, amène par nature des
hybridations culturelles et biologiques : emprunts de pratiques culturales étrangères au
territoire, effets de la globalisation et de l'industrialisation des pratiques,
importations de végétaux et d'animaux.
Naturel - Artificiel :
Du fait qu’un jardin présente des végétaux et des animaux
et qu’il les met en scène, il constitue – c’est une évidence – une mise en
scène de la nature. Mais les termes de cette mise en scène ont beaucoup évolué au cours
des âges. On peut même dire que le plus grand procès qui s’est joué au cours de
l’histoire des jardins, est celui de la part de « domestication » que
l’homme a osé exercer sur la nature, de la manière dont il a manié et dosé le
naturel, dont il a accepté la vie des végétaux, dont il a introduit l’artifice
et l’artificiel : jardins paysagers anglais, sans limite et sans clôture,
jardins d’automates, de machineries, de jeux d’eau de la Renaissance, du
Baroque…et du Classicisme, jardins naturels de William Robinson, jardins en
mouvement de Gilles Clément…
Du jardin cultivé, au paysage jardiné, quel meilleur sujet pour les nouveaux adeptes de la société informatique que de se confronter à un domaine où s’est déjà joué depuis longtemps une partie dont ils sont devenus familiers : le conflit du réel et du virtuel, du naturel et de l'artificiel ?
Perte des savoirs - Confrontation des savoirs :
Si beaucoup des données de sens qui sous-tendent la
structure des édifices religieux et des représentations imagées ou sculptées
qu’ils portent sont devenus « illisibles » pour la plupart de nos
contemporains, par suite de l’effacement des pratiques religieuses ou de la
connaissance du rôle du religieux dans la société, les parcs, les jardins et
les paysages sont eux-mêmes sujets à deux sortes d’effacement : la perte
des savoirs botaniques, la perte des savoirs symboliques et la disparition des
usages traditionnels.
Un jardin historique est toujours fondé sur un programme architectural, lui-même appuyé sur un parcours et une initiation. C’est au sens propre, une métaphore. Son dessin, ses perspectives, ses masses, ses statues, le mouvement de l’eau, les « fabriques » qui y sont construites et, bien entendu, les plantes qui s’y trouvent « racontent » une histoire : légende, reflet du pouvoir de son propriétaire, amour de la philosophie ou de la géométrie…Il existe une lecture sociale, une lecture du voyage et de l’errance, une lecture culturelle du jardin.
Un paysage est constitué par la superposition des effets d'événements culturels et naturels qui répondent à des lois : celles de la phytosociologie, des rapports de l'homme avec la nature - l'anthropisation - et du regard porté par l'homme sur l'espace : romantisme, paysagisme, sacralisation, idéalisme ou fonctionnalisme…
Mais par la
diversité des pratiques qu’ils engagent, les parcs, les jardins et les paysages
peuvent permettre un exercice de
confrontation des savoirs. Les métiers qu’ils impliquent pour leur maintien et leur entretien
sont multiples et rendent nécessaires des réactualisations constantes. La
disparition des savoir faire constitue un véritable défit qu'il faut relever,
surtout si on songe que l’Europe réouverte permet d'y répondre aujourd'hui à
l’échelle de la Grande Europe.
Spectacle - Pouvoir :
Le jardin est
un lieu de la représentation de soi et un lieu propice à la représentation et
au spectacle public. Le jardin a constitué un lieu symbolique pour toutes les sociétés qui
souhaitaient ancrer sur un territoire l’image de leur pouvoir social ou
économique. Enfin, le rôle des créateurs et des artistes en constitue l’un des
éléments forts et ceci, une fois de plus, dans la confrontation des cultures.
Le paysage est également devenu un enjeu du pouvoir et comme tel il tend à être marqué par le rôle des élus et des aménageurs qui lui donnent une vocation et en font un instrument privilégié de leurs convictions sociales, culturelles et économiques.
Conscience planétaire :
On dira enfin, à la suite de Gilles Clément que la pratique du jardinage - comme donnée quotidienne et intime – et que la lecture du paysage sont certainement deux démarches qui entraînent une prise de conscience planétaire, une prise de conscience de la diversité biologique et une prise de conscience de la durabilité, selon des voies directes et intimes. Une récente exposition de ce créateur de jardins, intitulée « Le jardin planétaire » nous demandait clairement : « Existe-t-il, à l’échelle planétaire, des actions comparables à celles qu’engage le jardinier dans son jardin ? Peut-on déplacer le vocabulaire du jardin, ordinairement associé aux espaces réduits et clos, vers un espace apparemment immense et ouvert ?».
Autrement dit, quels meilleurs sujets que les parcs, les jardins et les
paysages pour tenter de comprendre le rapport du local et du global ?
Coopération - Continuités :
Toujours à
l’échelle du continent retrouvé, on perçoit au travers des jardins et du
paysage un véritable enjeu de coopération transfrontalier et transcontinental. Non seulement parce qu’il
existe une solidarité de fait dans la gestion des espaces naturels bien au-delà
des frontières - les débordements récents de l'Elbe ou du Danube sont bien là
pour nous le rappeler - mais aussi parce qu’une grande partie de l’Europe des
jardins historiques et des paysages a été laissée en friche pendant des
décennies, faute de moyens pour les entretenir, ou du simple effet du passage récent, brusque et sans préparation de la
collectivisation à la propriété privée.
L’Europe des jardins était une, avant de se fragmenter. L’Europe des jardins constituait une véritable société dans la société, mais aussi une source d’échanges culturels. La collaboration et la confrontation concernant l’état des jardins de territoire et des jardins urbains, des paysages naturels et culturels à l’Est comme à l’Ouest, constituent des enjeux très actuels pour lesquels des équipes peuvent se mettre en place pour réaliser des actions communes qui dépassent à nouveau la logique des frontières.
B 2 / Priorités
Autrement dit, si l'on résume l'analyse des experts en terme d'actions, ils avaient désigné parmi tous ces éléments d'analyse deux priorités :
-
travailler sur des axes de
développement présentant une véritable urgence pour une Institution comme
le Conseil de l'Europe, avant de commencer à mettre en relation des patrimoine
européens de meme nature;
-
et engager un travail de mémoire et de relecture en particulier en
direction des plus jeunes.
C /
DEVELOPPEMENTS
L'itinéraire des Parcs et jardins a donné lieu à une application méthodologique diversifiée, et ceci dans toute l'Europe. L'ouvrage "Leçons de jardins à travers l'Europe" publié en 1999 par l'Institut en donne un aperçu à travers douze jardins et douze thèmes transversaux qui présentent des invariants des jardins : l'eau, les mythologies, le labyrinthe, les fabriques...
De plus, à partir de toutes les suggestions faites par les experts, on imagine facilement que les actions qui ont été entreprises par les partenaires du Conseil de l’Europe et de l’Institut ont concerné de manière prioritaire la question de la reprise de mémoire et celle de la pédagogie.
Mais l'approche méthodologique choisie par l'Institut a consisté à retenir pour cela un ensemble de lieux spécifiques dont les caractéristiques sont les suivantes
-
représenter une situation
propre à traduire de manière concrète les valeurs de l'Institution (situation
transfrontalière, circulation des idées à travers l'Europe, concrétisation du
dialogue inter-religieux, réponse en termes de bonne pratique à une question de
développement durable et de dialogue social en milieu urbain ou rural...);
-
disposer d'un porteur de
projet capable de fédérer des partenaires depuis le niveau politique national jusqu'au
niveau de la société civile locale pour pouvoir exprimer le plus concrètement
possible la "démocratie paysagère";
-
avoir la capacité de
superposer les différents types d'actions retenues par le Règlement des itinéraires
(scientifique, pédagogique, interprétatif, créatif et économique) et créer le
dialogue et le transfert de connaissance entre ces différents niveaux.
Autrement dit, il s'agit d'une méthodologie fondée
sur la capacité de certains lieux à mobiliser tous les niveaux de connaissance
et d'expertise, tous les niveaux de responsabilité et à faire circuler
l'information et les responsabilités.
Ainsi, un lieu comme "Les jardins de
l'Imaginaire" à Terrasson est porteur d'un projet culturel et de
développement ouvert sur l'Europe à plusieurs niveaux :
-
l'illustration concrète de l'histoire des jardins;
-
la documentation et la formation;
-
la mobilisation des enseignants et des élèves au plan local;
-
la préparation de missions au plan européen;
-
la rencontre des professionnels de toute l'Europe et la rencontre de
ces professionnels avec les enseignants concernés.
Une telle démarche qui implique une mobilisation
depuis le niveau de l'Etat jusqu'au territoire et du territoire jusqu'au niveau
national est également utile en ce qui concerne le travail de conviction engagé
vis à vis du travail réglementaire du Conseil de l'Europe.
En terme de mobilisation autour de la Convention Européenne du Paysage on peut considérer qu'un élève concerné sait mobiliser ses parents, que ses parents sont des électeurs et parfois des élus au plan local et national et que c'est par l'implication directe des élus que la Convention trouvera la voie de sa ratification.
C 1 / Réseaux scolaires
Les conclusions tirées de plusieurs réunions qui ont
été accueillies par le Musée Royal de Mariemont en Belgique de 1993 à 1996, ont
amené le Conseil de l'Europe à organiser des prototypes de "classes-jardins".
Grâce à l'aide financière de l'Institut et dans le cadre de la Campagne "L'Europe, un patrimoine commun", ces prototypes ont été étendus à quinze établissements scolaires travaillent aujourd’hui ensemble et ceci de manière parfaitement pluridisciplinaire, en France, Belgique, Allemagne et Grande-Bretagne à partir d’un ouvrage essentiel pour l’histoire des jardins : "Le Songe de Poliphile". Ce projet mobilise à l'heure actuelle plusieurs dizaines d'enseignants. En préparant les « Leçons de jardins à travers l’Europe », il nous a semblé que l’ouvrage de Francesco Colonna « Le Songe de Poliphile » qui a suscité un nouvel intérêt tant auprès des chercheurs que des amateurs de jardins, pouvait aussi mobiliser l’imagination de jeunes Européens. Œuvre conçue à l’articulation de deux époques et de deux mondes, elle suscitait aussi bien l’étude des formes et des styles, l’emploi des outils mathématiques, que l’initiation à la biologie et à l’environnement, sans oublier la création littéraire dans les différentes langues européennes.
L'éditeur vénitien Aldo Manuzio publie en 1499 à
Venise l'un des plus beaux livres imprimés de la Renaissance dont le titre
original "Hypnerotomachia Poliphili"
a été traduit en français en 1546 par "Le Songe de Poliphile" (ou
encore "La Lutte d'amour onirique de Poliphile") et en anglais par
"Dream of Poliphilia", grâce au travail de sir Robert Darlington de
1592. Cette œuvre dont l'interprétation est controversée - et donc ouverte -
invitait à un travail sur la notion de parcours, sur celle de la naissance des
utopies, sur des itinéraires de découverte du monde et de soi-même. Elle
pouvait, malgré son caractère ésotérique, servir à la création de scénarios, de
récits en suivant aussi bien les modes traditionnels du conte et du roman, que
ceux dont nous disposons à l’ère informatique : les jeux de rôle, ou les
cédéroms interactifs et l’internet. Grâce à cette œuvre, c’est une démarche
anthropologique qui est ainsi rendue possible en terme ludique et qui peut se
traduire par des « publications » sous diverses formes, préparées par
les élèves eux-mêmes.
Encore fallait-il rencontrer un écho favorable auprès d’enseignants qui acceptent de rentrer dans ce pari, non seulement avec leurs propres classes, mais aussi en coopération avec d’autres établissements européens. Nous avons déjà signalé que le terrain était bien préparé à Terrasson en Dordogne en raison de la création sur place d’un jardin qui a entièrement axé son parcours sur la notion d’imaginaire. Au niveau du primaire, à Terrasson et aux alentours, comme au niveau secondaire, en Zone d'Education Prioritaire le thème du jardin et l’ouverture vers l’Europe étaient déjà partie prenante des projets pédagogiques. A preuve l’invitation par l'Institut et le Centre culturel d’un architecte paysagiste roumain durant le printemps 2000 pour travailler avec les Terminales Arts Plastiques à la création d’un jardin pour le Lycée. Un groupe d’enseignants et d’élèves du Collège Jules Ferry a donc commencé à travailler depuis la rentrée scolaire 1999-2000 en équipe complètement pluridisciplinaire et grâce à des horaires aménagés. Elle s'est appuyée sur l’aide d’intervenants extérieurs : conteur, écrivain, plasticien, botaniste, ethnologue, architecte...Et l’intérêt de ce qu’il faut bien nommer une « expérience », qui s’est enrichie chaque jour, a réussi à convaincre d’autres établissements européens invités par l'Institut après une visite préalable, à en discuter ensemble à Luxembourg en janvier 2000, puis à Strasbourg quelques mois plus tard.
Le collège de Wiesbaden-Bierstadt jumelé depuis
longtemps avec celui de Terrasson a été très vite convaincu. L'Académie de
Strasbourg, ville qui avait fait un travail considérable pour préparer le
projet du "Jardin des deux rives", s'est mobilisée et deux collèges
ont répondu présents. En Province de Namur, c'est autour de la cellule Parcs et
Jardins dont la responsable, historienne des jardins avait participé dès 1994
aux réunions de l'itinéraires des Parcs et Jardins, que la mobilisation s'est
faite avec enthousiasme. L'Ecole Decroly dont
les élèves avaient suivi une classe jardin en 1997 dans le domaine de
Mariemont a également rejoint le projet. Enfin dans les Cornouailles anglaises,
déjà sensibilisées aux thèmes des itinéraires, un parent d'élèves, expert des
itinéraires culturels, a su convaincre la direction du collège d'Helston.
Ce groupe a déposé une demande commune en février
2000 auprès de la Commission Européenne dans le cadre du Programme Comenius et
a reçu un avis favorable pour commencer un travail de trois ans à partir de la
rentrée 2000-2001. Cette dynamique s’est également inscrite dans le cadre de la
Campagne du Conseil de l’Europe « L’Europe, un patrimoine
commun »
L’Institut - qui a accompagné les différentes étapes de la construction de ce projet - a souhaité l’enraciner et lui donner de la durée dans le cadre des itinéraires culturels en lui ouvrant un outil de communication, le portail de l'Institut et sa base de données, qui viennent compléter ceux dont il dispose déjà, sur le site web de la cellule Parcs et Jardins de la Province de Namur et du Centre culturel de Terrasson et avec le relais du Centre International d'Etudes Pédagogiques (CIEP).
C 2 / Jardins emblématiques
Mais en fonction des critères méthodologiques définis ci-dessus, il a également semblé important de choisir les jardins emblématiques parmi ceux qui – peut-être moins connus que d’autres – ont modifié, à l’endroit où ils ont été conçus et placés, le rapport social ou le sens de l'espace, ainsi que ceux qui ont également joué un rôle de symbole et de ré appropriation de la mémoire. Ils constituaient la base du choix que nous avons effectué dans l’ouvrage « Leçons de jardins à travers l’Europe ». C’est par exemple, en dehors des "Jardins de l'Imaginaire" :
-
un jardin restitué, comme « The
lost gardens of Heligan » en Cornouailles qui est symbolique d'un
parcours de jardins de propriétés dans la péninsule et d'un développement vers
l'illustration des rapports de l'homme et des végétaux;
-
un jardin des mémoires religieuses de l'Europe « Le jardin des
Trois cultures » à Madrid;
-
un jardin symbole, celui qui va s’inscrire sur les deux rives du Rhin à
Strasbourg : "Le jardin des deux rives";
-
le jardin sauvage et "en mouvement" de Gilles Clément en
espace urbain, sur les bas-côtés du métro de Lausanne en Suisse;
- le jardin ethnobotanique sur les rapports de l’homme et du végétal à Salagon en France…
C 3 / De l'Ouest à l'Est
C’est à nouveau avec la ville de Terrasson, avec le Centre culturel et avec « Les jardins de l’Imaginaire » que l'Institut a développé une tête de réseau pour des actions de coopération européenne. Après avoir lancé un salon du livre de jardins et de l’imaginaire et organisé avec l'Institut les premières rencontres Est-Ouest entre architectes paysagistes et spécialistes du patrimoine, la ville de Terrasson a ouvert un « Centre culturel européen des jardins et du paysage », centre de ressources, lieu de rencontre et de formation, alliant un programme d’animations à un programme de mise en commun d’expériences professionnelles susceptibles de répondre à certaines des questions de l’aménagement paysager du territoire européen.
Plusieurs missions de reconnaissance ont été organisées en 2001 par le Centre et l'Institut en Lituanie et en Hongrie. Elles ont abouti en 2002 à un séminaire d'échanges d'expériences européennes concernant la restauration des jardins historiques, la création de nouveaux jardins, la mise en tourisme et les besoins en terme de formation.
Une coopération sur le thème du paysage a été également engagée par l'Institut avec le Centre de Trielle dans le Cantal en France depuis 1998. Il est à la fois tourné vers un travail sur le rapport du paysage avec la création artistique et l'approche scientifique pour les scolaires et vers la formation des élus et des administratifs en charge de paysages et de grands sites protégés.
D/ VERS UN
ITINERAIRE DU PAYSAGE CULTUREL OU VERS UNE RELECTURE PAYSAGERE DES ITINERAIRES
CULTURELS ?
De manière certainement paradoxale, la conscience d’une dimension paysagère dans l’ensemble des itinéraires culturels n’a été réellement prise en compte que de manière très récente.
Pourtant, depuis
l’élection des Chemins de Saint-Jacques de Compostelle, la question de la
traversée du paysage constitue une dimension centrale des itinéraires culturels
- qui n’est pas toujours mise en avant - mais qui reste pourtant essentielle à
l’expérience « physique » des itinéraires.
D 1 / Rendre concrète la Convention Européenne du
paysage dans les différents thèmes des itinéraires culturels
Il est clair que la démarche culturelle et
patrimoniale qui a accompagné ou conduit la recherche des contenus
scientifiques des thèmes a été le plus souvent une démarche historique destinée
à marquer ce qui faisait trace, et à mettre en valeur en quoi ces traces
prenaient un sens dans une explication contrastée et riche de l’histoire de
l’Europe. De même, la composante humaine ancienne (traces archéologiques,
écrites, chantées, contées…), ou la composante récente (artefacts, lieux du
travail, lieux de vie, vécu du spectacle, récits de parcours…) ont permis de
donner un sens et une épaisseur à des besoins nouveaux en matière
d’aménagement.
Autrement dit, si les dimensions temporelle et humaine ont été prises en compte, la dimension de la géographie physique, de la géographie humaine, de la description quantitative et qualitative du paysage et de ses composantes "naturelles" ont été le plus souvent ignorées.
Cela tient en grande partie au fait que la plupart des institutions et des administrations qui sont impliquées dans ce programme ont l’habitude de ne retenir de l’expression Itinéraire culturel que le terme culturel, et de ne penser qu’aux formes d’itinéraires historiques et humains.
Ou pour le dire autrement : que les services culturels ne travaillent que très rarement avec les services de l’environnement ou de l’aménagement du territoire, sans parler des responsables de la mise en tourisme.
Le récent redéploiement du secteur de la culture et du patrimoine culturel et naturel, touchant à l'aménagement du territoire au sein du Conseil de l'Europe devrait faciliter une reconsidération du programme.
D 2 / L'importance du paysage dans la lecture des thèmes
- De nombreuses propositions qui sont parvenues à l’Institut ou qui ont été élues par le Conseil de l’Europe présentent de manière claire une dimension paysagère, qu’il s’agisse du paysage rural ou du paysage urbain. Le territoire y est en effet abordé sous différents angles que nous citons ici volontairement dans le plus grand désordre : protection et valorisation de l’habitat rural vernaculaire dans son contexte environnemental large, rôle des monastères et des voies de pèlerinage dans l’aménagement historique des territoires, réflexions fondamentales sur la naissance de la notion même du mot « paysage » dans la peinture européenne, recherche des marqueurs identitaires du paysage liés à certaines activités humaines (culture du mûrier pour le ver à soie, culture de l’olivier ou de la vigne, création d’entreprises agricoles ou industrielles en territoire rural, aménagements industriels urbains…
- Le paysage constitue un patrimoine tout aussi « parlant » en termes européens que le patrimoine architectural. Pour aller plus loin encore, l’analyse de la mémoire du paysage rural et du paysage urbain constituent certainement deux axes de travail qui peuvent éviter des erreurs graves en ce qui concerne l’aménagement et l’urbanisme ou qui peuvent permettre d’en réparer certaines.
- Les itinéraires culturels touchent donc – sans l’avoir vraiment accepté pendant des années - à de multiples dimensions du paysage culturel : mémoire, histoire, parcours, lieux de vie, archétypes.. Il faut donc en prendre toute la dimension anthropologique. Comme l’indique Simon Schama :
« Alors, si nous
reconnaissons à juste titre que l’influence des hommes sur l’écologie de la
terre n’a pas été sans inconvénients, admettons aussi que le long commerce
entre la nature et la culture n’est pas une série de calamités prédéterminées
et sans contreparties. Du moins rendons justice à l’œil humain, car c’est son
regard qui fait toute la différence entre la matière brute et le
paysage. ».
E / UN
EXERCICE PRATIQUE : LA COOPERATION OUEST-EST DES ARCHITECTES PAYSAGISTES
Un premier
séminaire, organisé à Terrasson la fin du mois de septembre 2000 avec l'aide de
l'Institut, dans le cadre de la Campagne "L'Europe, un patrimoine
commun" a commencé à comparer un ensemble d'études de cas concernant la
formation des professionnels et la situation du patrimoine paysager entre
l'Ouest et l'Est de l'Europe.
Une des urgences soulignées par la Convention européenne du paysage est en effet la coopération au niveau international :
"…lors de la prise en compte de la dimension paysagère dans les politiques
et programmes internationaux..."…"en matière d'assistance technique
et scientifique, d'échanges de spécialistes du paysage pour l'information et la
formation, ainsi qu'échanger des informations sur toutes questions visées par
la Convention".
Il est même précisément mentionné :
"Les paysages transfrontaliers font l'objet d'une disposition spécifique. Les Parties contractantes s'engagent à encourager la coopération transfrontalière aux niveaux local et régional, et, au besoin, à élaborer et mettre en œuvre des programmes communs de mise en valeur du paysage".
E1 / Un premier séminaire
Quelques jours avant l'ouverture à signature à Florence du texte de la Convention, l'Institut et le Centre culturel de Terrasson réunissaient donc un premier groupe de spécialistes venant de France, Italie, Grande-Bretagne, Roumanie, Hongrie, Lituanie, Croatie et Bosnie et Herzégovine pour débattre de manière concrète sur des situations réelles caractéristiques de leur pays ou de leur région.
Bucarest comme ville
jardin, les conditions de conservation des parcs historiques de la Lituanie ou
de la Croatie, l'appel international pour le recréation du jardin botanique de
Sarajevo, les paysages culturels de la Hongrie étaient ainsi rapprochés et
comparés à un aménagement paysager urbain à Blois, aux paysages irrigués grâce
aux travaux de Leonardo da Vinci dans les environs de Milan, aux aspects du
paysage périurbain en France ou à l'aménagement d'un nouveau jardin en
territoire rural à Terrasson. Des représentants des écoles du paysage de Blois,
Versailles et Bordeaux en France, ont pu ainsi échanger avec leurs collègues
botanistes à Cambridge, architectes à Bucarest ou Budapest, ou responsables du
patrimoine en Lituanie.
E2 / Les premières conclusions
Outre l'importance d'un partage de mémoire, les
leçons de cette première rencontre sont assez évidentes : il s'agit de renforcer les collaborations sur des situations concrètes,
tant en matière d'amélioration des filières de formation, que de restaurations
ou de créations des jardins et des parcs.
Mais il s'agit d'abord de concerner les décideurs politiques des collectivités territoriales qui sont maintenant en charge, tant à l'Ouest - depuis déjà quelques années-, qu'à l'Est depuis moins de temps, de grands équipements culturels et naturels dans lesquels des conflits d'usage ont lieu en permanence : entre les protecteurs et les aménageurs, entre ceux qui les cultivent ou les entretiennent et tous ceux qui les "utilisent" pour leurs loisirs.
En dehors de rencontres régulières sur les concepts dont les sujets : "Paysages de mémoire, mémoire du paysage", "Terres d'utopie" visent à revenir sur les fondements de l'aménagement territorial, de la mise en place de jumelages de jardins et de l'échange de techniciens, ce sont donc des missions d'analyse et d'évaluation qui ont été souhaitées par les participants en tant que mesures d'urgence et de confiance, ceci dans le but d'établir des réseaux de compétence capables de générer des équipes de travail. Les trois premiers pays visés ont été la Lituanie, la Hongrie et la Roumanie.
E3 / Les parcs en Lituanie
Le travail de
coopération avec la Lituanie s'est effectué en deux temps : une mission
d'évaluation en juin 2001 sur un ensemble de parcs culturels et naturels et un
séminaire de comparaison sur des études de cas européens en mai 2002. Il s'agit
d'une action exemplaire et pilote qui met en œuvre la collaboration entre
l'Institut, le Centre culturel de Terrasson, le gouvernement lituanien, deux
villes lituaniennes : Vilnius et Palanga et un ensemble d'experts européens de
toutes disciplines et de niveaux de responsabilités complémentaires.
Lors du premier séminaire de travail entre architectes paysagistes de l'Est et de l'Ouest de l'Europe. Alfredas Jomantas, responsable de la coopération européenne à la Direction de la protection des Biens culturels de la Lituanie a effectué une présentation générale de l'ampleur du patrimoine paysager de son pays qui a véritablement surpris les participants :
"On compte environ
1000 parcs et jardins historiques en Lituanie. La moitié d’entre eux ont subi
des altérations de structure importantes, essentiellement parce qu’ils ont
perdu leurs propriétaires ou bien leurs utilisateurs et ceci à long terme. Ils
sont restés abandonnés pendant des années (par exemple le parc Belvederis).
Cela ne veut dire en aucun cas qu’ils n’ont plus de chance d’être revitalisés
si les conditions sociales changent. La preuve de cette affirmation est
constituée par deux parcs historiques qui après avoir supporté des conditions
très difficiles, et avoir été abandonnés pendant longtemps, reprennent
actuellement leur beauté et leur charme, grâce aux travaux menés par les nouveaux
propriétaires. Il s’agit de parc de Kairėnai près de Vilnius et du parc de
Burbiškis. Ces quelque 500 parcs sont souvent ceux dont les ensembles
architecturaux sont abandonnés : très souvent ce sont d’anciens centres
d’administration des anciens kolkhozes ou d’écoles déjà fermées, ou bien des
propriétés très éloignées des routes principales. Les autres 500 parcs sont
dans des conditions d’entretien très inégales…".
La mission a été préparée par la Direction de la protection des Biens culturels qui a assuré le choix du parcours, des lieux visités et des personnes rencontrées et a préparé la logistique des visites (déplacements, accueil, mobilisation des responsables de Parcs municipaux, de Parcs naturels, O.N.G., propriétaires privés….) sous la conduite d'Alfredas Jomantas et de Kestutis Labanauskas, spécialiste en chef pour les Parcs.
Le choix des experts a tenu compte de plusieurs
critères : apporter une connaissance des questions de protection, de
restitution et de restauration des Parcs historiques, apporter une connaissance
du management et de l'animation des Parcs historiques et contemporains,
apporter une connaissance de la dimension architecturale dans un contexte de
territoire et enfin, confronter les regards et les analyses de spécialistes de
l'Ouest et de l'Est de l'Europe. Il s'agit de Mariachiara Pozzana, Italie,
architecte, responsable d'une agence indépendante d'architecture paysagère et
responsable, avec l'Institut culturel français de Florence, de séminaires de
formation sur la restauration des Parcs historiques, Marie-Paule Baussan, France, ancienne directrice
commerciale d'une marque de produits cosmétiques naturels, ancienne responsable
de l'information du "Festival des Jardins" de Chaumont, chargée de
mission et responsable de la politique d'information des Jardins de l'Imaginaire
à Terrasson, commissaire du salon des livres de jardin et de l'imaginaire
"La plume et le râteau" et responsable de collection chez l'éditeur
Actes Sud et Claudia Constantinescu, Roumanie, architecte chez Prodomus S.A à
Bucarest, expert du Conseil de l'Europe (programme Leonardo Caravella sur les
métiers de la restauration du bâti patrimonial) et de l'Institut Européen des
Itinéraires culturels, commissaire du concours "Interventions
architecturales contemporaines en milieu rural dans les villages d'intérêt
patrimonial et touristiques des Pays du Centre et de l'Est de l'Europe".
E4 /
Conclusions générales de la mission
Les experts ont souligné la
qualité de la préparation de la mission. L’ampleur et la diversité des sites
visités ont constitué pour eux une véritable découverte. Cela indique bien qu'il
existe une potentialité de développement qui peut servir de vitrine au tourisme
lituanien, de moteur au développement local et de mobilisation de la société
civile.
Cela signifie aussi que le choix prioritaire de mise en valeur des Parcs culturels historiques et contemporains devrait constituer pour la Lituanie à la fois une démarche pertinente pour la mobilisation d'une action planifiée des services de protection du patrimoine et de l'action culturelle (livre, arts plastiques, musique…) et une démarche transversale, mettant en œuvre des coopérations à long terme entre les ministères concernés. Un plan d'ensemble qui serait doté d'un nom emblématique devrait donc être adopté à l'échelle du gouvernement et des collectivités territoriales.
Ils se sont également accordés à considérer que la Lituanie pouvait constituer un pays pilote pour ce qui concerne la mise en œuvre d’un itinéraire « Parcs et Paysage » qui soit susceptible de permettre une offre culturelle et touristique globale et de se décliner selon plusieurs thématiques :
-
un espace sacré ;
-
paysage et mémoire ;
-
de la géologie au land
art ;
-
l’itinéraire des parcs
d’Edouard André…
Ils ont de plus souligné la nécessité de commencer par des projets ancrés localement, des projets pouvant correspondre à des situations d’urgence mais dont l’exemplarité soit susceptible de mobiliser au cours de réunions, de séminaires, de formation et de rencontres inter ministérielles une majorité des sites concernés.
Pour la mise en œuvre de ces actions ils ont mis enfin en avant un certain nombre de mots ou de concepts clés.
Tout d'abord sur la reconnaissance de l'identité du paysage : L’identité est dans la nature, mais aussi dans la spiritualité des lieux et dans le caractère archaïque de la culture paysanne.
Sur la physiologie du changement : Les paysages sont en danger de globalisation.
Sur les caractéristiques des parcs historiques : Une histoire des parcs est à faire.
Ils ont également souligné des faits marquants : La formation quasi inexistante, pas d’école du paysage ni d’école d’horticulture, pas de firmes d'horticulture structurées.
Ils ont marqué la nécessité d’une liaison inter ministérielle qui concerne à la fois la protection du patrimoine, l'action culturelle, l'aménagement du territoire et le développement touristique, aussi bien que la sensibilisation du public. Il n’y a pas en effet de manifestation créant des liens entre les partenaires potentiels.
E5 / Un séminaire fondateur
A la suite de ces conclusions, les partenaires ont donc décidé d'organiser du 9 au 14 mai 2002 un séminaire sur les Parcs et Jardins sous le titre "Itinéraires des Parcs et Jardins : expériences et projets européens".
Il a eu lieu
d'abord à Palanga, puis à Vilnius. Les participants étaient des professionnels
et des experts lituaniens, français, italiens, anglais, hongrois et roumains.
Une première journée ouverte aux professionnels lituaniens (responsables
ministériels (culture, éducation, environnement, tourisme…) responsables de
parcs historiques, enseignants, gestionnaires de parcs naturels, O.N.G…) a
présenté l'état général de la question de la restauration, de l'entretien, du
management, de la protection et de la création des parcs. Les deux autres journées
réservées aux responsables de sites se sont déroulées sous forme d'ateliers
permettant la confrontation d'expériences lituaniennes et européennes à partir
de quatre questions : "Restaurer :
pourquoi? / Création d'un jardin, où et comment ? / Des parcs et des paysages
pour les touristes ? / Métiers connus et inconnus ?".
Enfin, à Vilnius ils ont constitué quatre équipes de travail qui ont fait une première analyse sur les potentialités de développement du Parc des Bernardins situé dans le cadre du vieux Vilnius, classé sur la Liste du Patrimoine mondial.
F /
MEDIATION DU PAYSAGE
La lecture des
dispositions de la Convention européenne du paysage fait apparaître en matière
d'objectifs les termes de protection, de gestion et d'aménagement des paysages,
ainsi que de qualité paysagère. Mais les commentaires sur les dispositions de
cette Convention soulignent, eux, les besoins en termes de sensibilisation,
formation et éducation, identification et qualification. Ce contraste indique
bien qu'un travail de médiation doit être engagé en direction des responsables,
"élus et personnels techniques", tout comme des usagers du paysage.
Travailler dans le sens de la ratification est important, et l'Institut, en étant au contact tant des usagers que des élus est optimiste à cet égard. Mais préparer la médiation est tout aussi important car la mise en œuvre de la Convention n'a de sens que si elle permet de rétablir une culture général du paysage et amène les pays signataires à se doter des outils d'explication et de sensibilisation.
F1 / La médiation : de l'urbain au rural
La médiation du paysage constitue un domaine neuf qui peut certes bénéficier du travail engagé en Europe sur la médiation et l'interprétation du patrimoine, ainsi que des travaux d'enquêtes sur l'image que les populations européennes se font du paysage. Mais c'est un travail qui doit à la fois éviter :
-
un certain romantisme ambiant : le paysage c'est la beauté, c'est
l'état de nature, c'est un espace de loisirs à protéger ;
-
une certaine "hystérie du patrimoine" qui a été dénoncée ces
dernières années dans les pays de l'Ouest de l'Europe : la patrimonialisation à
tous prix, la conservation en l'état, la transformation du patrimoine en repère
historique sans lien avec le présent.
Il nous semble au contraire que plus encore que pour
le patrimoine culturel bâti, le patrimoine culturel et naturel paysager est
fondé sur le vivant et sur l'usage. Il
est en constante évolution et constitue une somme d'usages complémentaires qui
nécessitent la définition d'un projet collectif.
La médiation du paysage urbain repose aujourd'hui en grande partie sur la médiation du patrimoine bâti aux dépends de la médiation de la démarche urbanistique, mais elle met aussi en œuvre depuis déjà une vingtaine d'années, et à une échelle de plus en plus grande, les moyens de la mise en scène. L'éclairage spectaculaire, la projection d'images murales, la visite nocturne, l'aménagement d'espaces piétonniers, la commande publique d'œuvres d'art, l'effort en design du mobilier urbain, les spectacles de l'art de la rue sont quelques-unes des approches qui y concourent de plus en plus, mêlant parfois la part historique et la part récente avec une certaine harmonie.
Peu à peu, la médiation du paysage périurbain a fait également son apparition pour répondre au besoin des habitants d'une "mémoire agricole citadine" (Pierre Donadieu), amenant les élus à décider de replanter des vignobles pour redonner un aspect de village aux banlieues, d'entretenir des champs et des cultures pour assurer simplement le plaisir des yeux et de recréer des haies bocagères pour perpétuer la mémoire céréalière des abords d'aéroport, ou enfin d'introduire des espaces de récolte fruitières pour diversifier les loisirs du dimanche des urbains.
Par contre, la prise de conscience des changements d'affectation des paysages ruraux est réellement plus récente et elle constitue certainement le défi le plus important de la mise en application de la Convention en s'appuyant sur la mobilisation des différents usagers dans la voie d'une réconciliation ou de ce qu'on pourrait nommer "un nouveau contrat rural".
C'est enfin une des plus grandes avancées de la Convention que de remettre en avant les usagers des "paysages ordinaires" comme des "paysages remarquables" et de souligner l'importance de la sensibilisation et de la "démocratie paysagère" :
"Le paysage appartient pour partie à tout citoyen, lequel a le devoir d'en prendre soin. Aussi, le bon état des paysages est-il étroitement lié au niveau de sensibilisation. Des campagnes d'information et de sensibilisation du public, des représentants élus et des associations, sur la valeur des paysages présents et à venir, devraient être organisés dans cette perspective.", et d'insister sur : "Un paysage, patrimoine commun aux Européens".
F2 / De nouveaux métiers à créer
A la suite des réunions d'architectes paysagistes de l'Ouest et de l'Est de l'Europe, il est apparu que les parcs et les paysages culturels sont devenus à la fois des enjeux du développement de politiques touristiques, culturelles et patrimoniales pour les collectivités territoriales de toute l’Europe. L'Institut est en effet constamment sollicité par des élus qui souhaitent trouver des solutions qui représentent un équilibre entre d'un coté conservation et protection et de l'autre le développement territorial et la recherche de nouveaux usages.
Ces dernières doivent en effet pouvoir y répondre en montant des programmes ou en initiant des projets qui visent la valorisation du patrimoine « naturel » dont elles ont la charge, et ceci à partir des propositions ou des études d'architectes paysagistes entre lesquelles il est souvent difficile de trancher.
Il s’agit aussi à la fois de répondre aux besoins de la population locale en termes de qualité de vie et aux attentes des visiteurs en termes de diversification de l’offre touristique.
Quand le projet est réalisé, des problèmes se posent qui n’ont pas toujours été envisagés en amont de l’appel d’offre. C'est tout particulièrement le cas dans les pays en voie de transition économique qui ont longtemps négligé ces types d'investissements : viabilité du projet dans son contexte (géographique et économique) ; évaluation de l’ambition des investissements de départ et le résultat de l’exploitation : (durabilité en tant que patrimoine naturel ; pérennité en tant que porteur d’un projet touristico-culturel ; qualité et de la professionnalisation des personnels impliqués); communication et commercialisation du projet.
Les partenaires ont donc préparé un projet qui vise à définir un nouveau profil professionnel de "médiateur" permettant d'établir un meilleur dialogue entre la très grande variété des métiers impliqués et la maîtrise d'ouvrage, ce qui implique également de travailler à l'amélioration du niveau de formation professionnelle de ces différents métiers, afin de faire face à l'évolution constante des techniques d'entretien et à la nécessité de retrouver des techniques anciennes, ainsi qu'à assurer le management et l'animation nécessaires.
La méthodologie du projet passe par un partage d'expériences et par une meilleure définition des besoins et des profils professionnels à partir de réunions de travail et de l'étude de cas concrets (parcs et paysages culturels) choisis dans les pays du partenariat : Parcs historiques et tourisme - Parcs contemporains et innovation - Redécouverte des techniques anciennes pour un projet de développement local - Formation des techniciens sur le terrain - Développement durable des parcs dans les pays en transition économique - Mise en réseau de centres de ressources - Education des populations locales…. L'objectif principal est bien de créer une méthodologie commune et valable dans tous les pays du partenariat et d'en inclure les résultats dans une base de données accessibles par internet sur le portail de l'Institut, accompagnée d'un manuel pratique à l'usage des décideurs, leur permettant de mieux orienter leurs choix en terme de définition de poste et de recrutement des personnels. A partir de cette base de données, les partenaires envisageront ultérieurement la mise en place d'un enseignement à distance. Différents cas d'études ont été déjà retenus : la restauration de la Villa Bardini à Florence en Italie, l'entretien d'un parc historique créé par Edouard André à Palanga en Lituanie, la restitution du Jardin baroque Esterhazy en Hongrie, le site de mémoire Pic Nic Européen à la frontière Austro-Hongroise, le développement des jardins de l'imaginaire à Terrasson….
Michel
Thomas-Penette
1er septembre 2002
Facebook spécialisé "Leçons de jardins - Garden's secrets"
Repères
bibliographiques :
BRUNON (Hervé). Le jardin notre double. Sagesse et déraison. Ouvrage collectif. Collection mutations N° 184. Editions Autrement. Paris 1999.
CHENET (Françoise), (COLLOT) Michel et SAINT GIRONS (Baldine). Le paysage état des lieux. Actes du colloque de Cerisy (30 juin – 7 juillet 1999).Editions Ousia Bruxelles. 2001.
CLEMENT (Gilles). Le jardin planétaire. Réconcilier l’homme avec la nature. Albin Michel Paris. 1999.
COLONNA (Francesco). Le Songe de Poliphile. Aldus Manutius Venise. 1499.
DONADIEU (Pierre). Existe-t-il un paysage européen ? / La ville-campagne : une forme paysagiste de l’urbain. Carnets de Campagne. Ouvrage préparé par l’Institut Européen des Itinéraires culturels dans le cadre de la Campagne « L’Europe, un patrimoine commun ». 2002.
GROUT (Catherine) et IYORI (Tsutomu). Le paysage de l’espace urbain. Actualité du jardin, questions urbaines. Ouvrage collectif. Dans le cadre des itinéraires culturels du Conseil de l’Europe. Editions in situ Enghien-les-Bains. 1998.
SCHAMA (Simon). Le Paysage et la mémoire. Editions du Seuil Paris 1999.
THOMAS-PENETTE (Michel) et FAUQUE (Claude). Leçons de jardins à travers l’Europe. Alternatives Paris. 1998.
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