« Le destin du touriste » Itinéraire culturel : le Tourisme de mémoire. Michel Thomas-Penette et Aurore Mallet. Le Jeudi du 26 mai 2011.
Ligne Maginot à Hettange-Grande, Moselle. Cliché IEIC.
Les premières assises du tourisme de mémoire en France ont lieu cette semaine à Paris, dans la perspective des célébrations du centenaire de la Grande Guerre en 2014 (*).
Une occasion d'analyser le rôle de la fonction
mémorielle dans le tourisme culturel.
Le tourisme international est régulièrement marqué par la crainte qu'éprouvent des touristes à rejoindre des destinations marquées par des attentats, des guerres civiles, voire des révolutions.
Mais après quelques années, lorsque la situation s'est
stabilisée, les visiteurs reviennent et sont même cette fois attirés par les
lieux de conflits passés. C'est le cas de Belfast où se sont affrontés d'un
côté les républicains, nationalistes et catholiques avec, de l'autre, les
unionistes, loyalistes et protestants. Un tourisme culturel, pédagogique et
civique, mais aussi émotionnel, met en perspective les traces d'un conflit
récent : murs noircis, sites d'attentats, prisons. D'ex-soldats républicains
peuvent même tenir lieu de guides.
Blessures réelles et symboliques
C'est un peu pour prendre le contre-pied de la mise en tourisme
d'une mémoire apaisée que Rui Zink, un romancier portugais a écrit une sorte de
conte philosophique intitulé « Le destin du touriste » (**).
On y suit les aventures d'un voyageur qui se rend dans un pays en guerre, à la recherche de sa propre mort, ou d'une gloire posthume. Il se trouvera en effet, pendant tout le séjour qu'il a acheté, comme on achète un séjour en club de vacances, aux premières loges des bombardements de son hôtel, d'exécutions sommaires quotidiennes au fond du marché couvert et de l'enlèvement de touristes, au bord des plages.
« Et Dieu fasse qu'ils le flinguent ou le
décapitent, oui, après avoir dit ces mots, ça, ce serait bien vu, et on aurait
des images qui feraient la une non seulement des journaux et des télévisions,
mais aussi, espérons le, de Youtube.»
En accumulant, avec un vrai talent d'équilibriste, un florilège de situations grotesques et désespérantes, qui en fait, on le comprendra vite sont jouées, exactement comme un spectacle « folklorique » qui fait partie intégrante du «package » touristique, l'auteur se paie le luxe d'introduire un vrai/ faux texte de la «Commission » responsable de cette stratégie touristique « durable ».
On y lit ainsi : « Les zones les moins agréables dans un aspect comme dans l'autre ne doivent pas désespérer – pour elles aussi, la Commission, après d'incessants rapports et études, a trouvé la solution finale. Nous recommandons qu'elles fassent de leurs faiblesses une vertu, en tirant profit de leur inhospitalité, afin d'offrir comme produit attractif cette même incapacité d'autogestion et de maintien d'un microsystème économique solide».
Laideur, misère, souffrance, insécurité,
deviennent des attractions touristiques pour les nantis !
Au-delà de ces cas extrêmes, nous souhaitons, à la lumière des développements récents des itinéraires culturels européens, revisiter pendant plusieurs semaines le tourisme de mémoire. Il s'agit d'abord d'un tourisme de commémoration, mais pas seulement. Il recouvre plusieurs objectifs dont celui d'une meilleure compréhension de l'histoire telle qu'elle subsiste dans la conscience des populations.
Parmi les différentes démarches de mise en valeur, la visite de cimetières, comme celui du Père Lachaise à Paris, permet par exemple une réappropriation du patrimoine dont la compréhension culturelle est liée aux différents rites funéraires constitutifs d'une société urbaine.
C'est pour cette raison que le Conseil de l'Europe, face
aux questionnements des visiteurs, a labellisé en 2010 l'Itinéraire culturel
des Cimetières remarquables d'Europe qui regroupe aujourd'hui 91 sites dans
près de 16 pays. Mais le patrimoine de mémoire sou lève des interrogations en
ce qui concerne son interprétation et sa vulgarisation, notamment pour les
opérateurs culturels et touristiques qui font face à une demande croissante.
Paul Ricoeur le souligne dans « La Mémoire, l'Histoire et l'Oubli » :
« À la célébration, d'un côté, correspond l'exécration de
l'autre. C'est ainsi que sont emmagasinés dans les archives de la mémoire
collective, des blessures réelles et symboliques ».
* Premières assises du tourisme de mémoire. Jeudi 26 mai,
Palais du Luxembourg.
** Rui Zink, « Le destin du touriste », Éd. Métailié, 2011
pour la traduction française.
Premières assises du tourisme de mémoire - Forum PAGES 14-18
Quand le tourisme de mémoire bouleverse le travail de mémoire : ESPACES313
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