Patrimoine et Mémoire : des projets pour vivre ensemble. Message du Président Emil Constantinescu, Président de la Roumanie. 12-13 septembre 1999.
Grande Place. Sibiu.
A Bucarest où a été inauguré hier la campagne «L’Europe, un patrimoine commun» il a été fermement mentionné par plusieurs orateurs, dont moi aussi, que l’Europe peut avoir un avenir à condition qu’elle n’oublie pas son passé et les deux existent uniquement dans la mesure où ils appartiennent et demeurent à nous tous, à tous les Européens.
Il faudrait toutefois ajouter, avec réalisme, qu’une oeuvre d’art ou un beau site ne sont pas connus par tous les Européens et ils ne peuvent pas l’être. Un public effectivement européen a été formé pendant la Renaissance et il a continué à exister jusqu’à l’époque des Lumières et, en un certain sens, jusqu’à présent, mais ce public a été fatalement limité par les capacités de communication de l’époque respective et, plutôt, par les hiérarchies politiques et culturelles qui ont gouverné l’Europe.
Il y a toujours eu des centres de
création d’où étaient diffusées bien loin de nouvelles idées et de nouvelles
formes artistiques, mais il y a eu, de même, des centres dont l’art n’a été
connu qu’à un niveau local, ne disposant pas de la capacité matérielle ou
politique de les exporter ou de les imposer à des zones plus lointaines. Bon
gré mal gré, les hiérarchies culturelles européennes ont suivi les hiérarchies
politiques et économiques, le patrimoine culturel a été forgé, en une grande
mesure, grâce à l’ambition et au capital des sponsors de l’époque. L’art des
villes ou des pays puissants a été connu également dans les petits pays, mais
le processus inverse ne s’est pas produit. Autrement dit, nous, les modernes,
nous n’avons rien inventé de nouveau dans ce domaine.
A présent, c’est pour la première
fois que, grâce au Conseil de l’Europe, on tente une nouvelle approche du
patrimoine européen, dans le sens que c’est pour la première fois qu’on tente
de construire un nouveau système de diffusion et de sauvegarde du patrimoine
qui ne tienne plus compte de la hiérarchie des puissances et des préférences
traditionnelles. Tous les pays, grands ou petits, proposent des projets au
Conseil de l’Europe qui leur accorde une attention égale, même si ces valeurs
sont déjà connues en Europe, ou bien, elles ne le sont pas.
Nous découvrons non seulement le patrimoine des pays plus petits, ce qu’on pourrait appeler maintenant après les divisions politiques du continent, en parlant du point de vue culturel, « une deuxième Europe », mais nous découvrons aussi de grandes valeurs culturelles locales dont certaines moins connues même dans le pays concerné, par conséquent, «une troisième Europe».
En tant que Roumain, je ne peux que me réjouir du fait qu’on se dirige vers une Europe sans centres et sans confins, comme il a été affirmé ces jours-ci à Yalta également, et que les monuments culturels de mon pays se trouvent à l’attention d’un public européen plus large. De plus, en tant que citoyen d’honneur de Sibiu, où je suis venu l’année dernière, je ne peux que me réjouir encore davantage lorsque la sauvegarde de cette ville devient un programme-pilote du Conseil de l’Europe.
La qualité de carrefour culturel de Sibiu a souvent été mentionnée. C’est là que s’entrecroisent la culture central-européenne de type allemand grâce à une ancienne présence des Saxons dans cette ville, ainsi que d’autres groupes ethniques et une très vieille culture roumaine, d’un grand raffinement, produite pendant des siècles dans certains villages environnants, dont ceux que vous avez visités, mais, également, une culture produite à l’époque moderne, à Sibiu même.
Ces cultures ont été constituées parallèlement, mais elles se sont souvent entrecroisées, subissant des influences mutuelles et il est passionnant pour un Roumain d’une autre région, c’est mon cas aussi, de parcourir la ville de Sibiu et la zone avoisinante, de constater leur originalité par rapport à d’autres cultures régionales de Roumanie. Nous y admirons l’architecture et les tissus de la région, les grands écrivains qui y sont nés ou qui s’y sont établis, eux-mêmes si différents l’un par rapport à l’autre : un poète de la nostalgie tel Goga, un Cioran qui depuis Sibiu jusqu’à Paris n’a cessé de déplorer le caractère dérisoire de l’existence, mais également, grâce à son ironie habituelle, le fait d’avoir quitté Răşinari, son village natal, à proximité de Sibiu ou bien un Noica, réfugié ici à cause du communisme et cherchant de créer une oasis de philosophie à Păltiniş.
Nous n’oublions pas le fondateur Gheorghe Lazăr d’Avrig, mais nous admirons aussi la culture actuelle, l’Université, les
Musées, le théâtre Radu Stanca, les excellentes revues sibiennes Transilvania
et Euphorion, le grand poète Mircea Ivănescu, Doinaş et le Cercle littéraire le
prosateur Joachim Wittstock, le poète Oskar Pastior et l’intellectuel
remarquable Paul Philippi, ou le professeur Eugene Itterbeek de Belgique qui a
pris la décision de donner des cours de littérature française et flamande à
Sibiu, ou bien tant d’autres encore.
Voilà pourquoi la ville de Sibiu est un exemple de diversité et de création locale extraordinaire non seulement pour d’autres Européens, mais aussi pour les citoyens de la Roumanie en général. Cependant, il faudrait souligner quelque chose encore. En Roumanie et surtout en Transylvanie, il y a eu au cours de l’histoire et même plus récemment bien des conflits, déclenchés par les intérêts économiques, politiques, culturels divergents des divers groupes ethniques. A Sibiu, toutefois, il n’y a pas eu ce genre de conflits. Cette ville est pour nous non seulement un exemple de pluralisme culturel, mais, en même temps, un exemple de tolérance et de respect mutuel de ses citoyens.
Que votre rencontre à Sibiu soit, tout d’abord une
rencontre avec la ville de Sibiu et avec les gens qui l’habitent. Que ces deux
rencontres soient le début d’un nouvel intérêt européen non seulement pour
d’autres centres locaux roumains, tels Banloc ou Sulina, mais également pour le
génie local, partout en Europe.
Campagne "L'Europe, un patrimoine commun".
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