« Les lieux de mémoire du totalitarisme » Itinéraire culturel (3). Michel Thomas-Penette et Eleonora Berti. Le Jeudi 9 juin 2011.
Collegio Aeronautico de l'architecte Cesare Valle à Forli
Un projet d'itinéraire culturel sur les architectures des régimes totalitaires du XXe siècle (1) vise une relecture critique des symboles monumentaux et urbains de ces idéologies. Il pose aussi la question de leur protection et de leur restauration dans le contexte d'un travail de mémoire, mais aussi de redéploiement économique et touristique urbain.
Les ministres de la Culture européens ont adopté définitivement l'idée d'un Label du patrimoine européen pour les sites qui témoignent de la construction de l'Union européenne. Mais se pose bien en tendu, de manière certes paradoxale, la question du statut des sites et des ensembles urbains qui caractérisent des régimes dont l'idéologie dominatrice ou guerrière a failli conduire à la destruction de l'Europe.
Miroir d'un régime nationaliste
Le projet ATRIUM, acronyme du titre anglais « Architecture of Totalitarian Regimes of the 20th Century in Urban Management » a été proposé par Forli en Italie, une ville située au cœur de la Province de naissance de Benito Mussolini.
La ville a été, en effet, complètement réaménagée à partir de 1927 selon les plans de l'ingénieur Luigi Donzelli, plans établis sous le contrôle étroit du podestat, représentant du régime fasciste, le conte Ercole Gaddi Pepoli.
Sont valorisés également dans la province la station thermale de Castrocaro Terme réaménagée en 1936 sous l'impulsion de Arnaldo Mussolini, le frère du Duce, ainsi bien sûr que la ville de Predappio dont le redéploiement urbain s'inscrit dans le milieu des années 20 autour de deux pôles: la maison natale du dictateur et le Palazzo Varano où il a grandi.
La solennité des architectures et les aménagements urbains de l'époque fasciste reflètent une ambiguïté qui caractérisera aussi ceux des régimes communistes. D'un côté la recherche de solutions technologiques et architecturales innovantes, comme, par exemple, l'utilisation du béton armé. On ne peut oublier en effet que les architectes ont suivi les théories de Le Corbusier, en France, et les enseignements de Gropius et du mouvement du Bauhaus, en Alle magne. Mais il s'agit aussi d'une tentative de récupérer et de mettre en avant les racines classiques, devenues le miroir d'un régime nationaliste qui ne pouvait pas perdre la continuité avec l'histoire et le passé de la Patria et de la romanité.
Les « villes de fondation », caractéristiques du régime fasciste, Carbonia en Sardaigne; Littoria (Ville du faisceau du licteur), aujourd'hui Latina, dans le Latium; Pozzo Littorio (Puits du licteur), aujourd'hui Podlabin, en Croatie, sont des centres urbains bâtis ex novo, en Italie et dans les colonies italiennes, selon des schémas précis et avec des toponymes significatifs.
Les plans d'aménagement prévoyaient un centre d'agrégation, comprenant les bâtiments publics
typiques du régime, comme l'église, la Casa del Fascio, le centre médical,
parfois la mairie, l'école, ainsi que les services, comme le consortium agraire,
quelques magasins et l'auberge. Tous les bâtiments étaient organisés autour
d'une place ou d'un axe principal.
Une architecture commune
L'idée selon laquelle l'architecture doit soutenir, accompagner et illustrer les conquêtes d'un régime engagé dans une compétition pour le primat mondial est commune à tous les régimes totalitaires, dès l'antiquité jusqu'aux régimes communistes des Balkans.
Ce principe nous aide à lire le rapport de force et de masse du palais du Peuple de Bucarest, de la Pyramide de Tirana, ou encore du Nový Most (le Nouveau pont) de Bratislava, auparavant nommé le Most SNP (Pont de la Révolution nationale slovaque), toutes architectures monumentales et hors échelle qui nous rappellent les dessins des architectures visionnaires d'Étienne-Louis Boullée (1728-1799) et les architectures d'Oscar Niemeyer à Brasilia, à la fin des années 50.
Le travail en commun qui s'engage avec
ATRIUM doit permettre de susciter un regard nouveau des habitants et des
visiteurs pour qui ce passé encore si proche suscite de l'émotion et parfois
même du dégoût.
« Un objet devient lieu de mémoire quand il échappe à l'oubli,
par exemple avec l'apposition de plaques commémoratives, et quand une
collectivité le réinvestit de son affect et de ses émotions », nous
rappelle Pierre Nora dans Les Lieux de Mémoire.
(1) L'Itinérai ATRIUM a été labelisé en 2014. L'Institut européen des Itinéraires culturels a accompagné ce projet majeur dès sa présentation, en particiler lors d'une réunion en Roumanie à Bucarest et Iasi. Il a fait partie des associés du Projet NEXT ROUTES et c'est à Forli (Laboratorio aperto) que s'est tenue fin septembre 2025 la réunion finale du projet.
(2) Il s'agit d'un programme de la Commission européenne
réunissant outre la ville et la Province de Forli, des villes et facultés
d'architectures de Slovénie, Bulgarie, Slovaquie, Roumanie, Hongrie, Grèce,
Serbie, Albanie et Bosnie-Herzégovine.
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