«Que faire des statues de l'époque communiste ?» Itinéraire culturel : Tourisme de mémoire (4). Michel Thomas-Penette. Le Jeudi 16 juin 2011.
Si on a fait appel à de grands architectes contemporains
pour créer des parcs urbains et si l'entrée des artistes contemporains dans les
parcs historiques suscite toujours des polémiques, comme c'est régulièrement le
cas à Versailles (1), certains pays d'Europe centrale et orientale ont dû
résoudre la question de la place de la sculpture « réaliste » dans l'espace
paysager.
Restaurer un parc historique est toujours une question d'éthique et de choix. Jusqu'à quel stade de l'origine de celui-ci faut-il faire remonter le travail de recherche archéologique ?
Comment faire com
prendre aux visiteurs les états successifs de son aménage ment et les
empilements de styles et d'influences qui le caractérisent ? Voire comment
présenter au public l'évolution même des concepts qui ont soutenu ses
restaurations successives, pour ne pas parler de l'instrumentalisation identitaire
du travail ?
Les photographies historiques de l'Alhambra à Grenade témoignent parfaitement de ces visions opposées, certaines ayant valorisé l'influence arabe d'un point de vue purement romantique, d'autres, en particulier pendant la période fasciste, tentant d'affirmer une identité purement ibérique, pour revenir plus récemment vers les sources hispano-mauresques.
De fait, on peut dire qu'une société cherche le plus souvent
à reconnaître ses propres affects quand elle demande une interprétation sur le
passé.
C'est ce miroir que Françoise Choay dénonce dans l'Allégorie du patrimoine (2) :
« En d'autres termes, l'observation et le traitement
sélectif des biens patrimoniaux ne contribueraient plus à fonder une identité
culturelle dynamique ment assumée. Ils tendraient à être remplacés par l'autocontemplation
passive et le culte d'une identité générique. On aura reconnu ici la marque du
narcissisme. Le patrimoine aurait perdu sa fonction constructive au profit
d'une fonction défensive qui assure rait la recollection d'une identité menacée
».
Grutas Parkas. Lituanie. Cliché MTP.
Objets de douleur
Mais les contradictions sont encore beaucoup plus fortes et
pèsent lourd dans les décisions politiques lorsqu'il s'agit de marier
l'histoire et la mémoire. C'est la situation devant laquelle s'est trouvé le
gouvernement lituanien après le retour à l'indépendance.
Lorsque les statues créées à la gloire du régime soviétique sont tombées de leur piédestal et ont été entreposées dans les cours des mairies, plusieurs idées ont été proposées pour préserver des objets devenus patrimoniaux, même si ce patrimoine était en lui-même porteur de douleur. On a par exemple suggéré d'ouvrir un parc dans les environs de Vilnius près d'une route nationale afin d'y disposer les sculptures.
Une autre idée a été de
mettre en place une sorte de « forêt » de ces monuments dans la cour d'un
ancien bâtiment de la sécurité soviétique qui avait servi de prison pour les
détenus politiques, ou encore d'installer un parc de sculptures dans un
district résidentiel proche de la tour de la télévision où avait eu lieu le
meurtre des défenseurs de l'indépendance lituanienne.
Finalement, un appel d'offres d'exposition des monuments a été lancé et a permis de sélectionner parmi quatre candidats le projet de l'homme d'affaires Viliumas Malinauskas.
Il
s'agissait du projet du « Grutas Parkas » dans une forêt près de Druskininkai,
une station thermale toujours très prisée.
Une résolution du gouvernement de décembre 1998 lui a ainsi
confié ce pan de mémoire, moyennant un accord sur l'usage. On peut dire
aujourd'hui que la mise en place, à la manière de l'aménagement d'un parc
paysager quasi romantique, de bustes de politiciens célèbres ou de militaires,
de bas-reliefs représentant des armées en marche ou d'une mosaïque figurant
l'engagement des jeunes pionniers, voire des bustes en bois des opposants
politiques au projet, constitue un véritable succès touristique en ce qui
concerne les visiteurs étrangers, aussi bien que pour les groupes scolaires qui
défilent là en grand nombre, un peu comme dans un parc de loisirs où le passé
proche serait mis en perspective.
L'ensemble a été accompagné de l'installation d'un musée de la peinture réaliste soviétique et de la reconstitution d'une école des années soixante avec tous ses objets idéologiques symboliques, mais aussi d'un restaurant offrant des menus frugaux qui témoignent d'une « nostalgie » un peu comparable à celle du film Good bye Lénine.
* Visite virtuelle du parc : http://www.grutoparkas.lt/index-en.htm
(1) Exposition Bernard Venet. Parc et château de Versailles
jusqu'au 1er novembre 2011.
(2) Françoise Choay. « L'Allégorie du patrimoine ».
Paris, Seuil 1992.
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