Repousser l'Horizon. Des destins exceptionnels sur l'Itinéraire du patrimoine juif en Europe (2). Benjamin Tudela. Le Jeudi 9 septembre 2008. Michel Thomas-Penette.
En partant à la découverte du sort des
communautés juives dans les pays méditerranéens, jusqu’en Terre Sainte,
Benjamin de Tudela nous propose un tableau vivant du monde médiéval au XIIe
siècle.
Un sort contrasté
Le sort des Juifs d’Espagne au cours du Moyen Âge n’est pas moins troublé que dans le reste de l’Europe. Présents dans la péninsule ibérique avant l’arrivée des Wisigoths, ils devront gagner l’Afrique du Nord au fur et à mesure où le catholicisme devient la religion d’Etat. Ils reprendront pieds dans le corps social et économique avec l’arrivée des conquérants arabo-berbéres et la constitution des royaumes d’Al-Andalus (le pays des Vandales) au début du VIIIe siècle. Mais si du Xe au XIIe siècle leur rôle à Grenade, Séville ou Cordoue est notable, même auprès des seigneurs musulmans comme interprètes, scientifiques, médecins ou écrivains – on ne peut oublier la figure prédominante de Moshé ben Maimon, Rambam dit Maïmonide, les dynasties Almohades réintroduisent l’exclusivité de l’Islam, provoquant de nouveau un repli des Juifs, dont Maïmonide lui-même vers l’Afrique et vers les territoires ibériques déjà reconquis par la chrétienté.
Le rôle des communautés juives au sein des royaumes catholiques sera un peu parallèle. Leur intégration se fait dans les domaines du commerce et de l’artisanat et ils sont de bon conseil pour une administration qui se met en place avec la « reconquista ». On connaît le rôle important qu’ils ont joué au sein de l’Ecole des traducteurs de Tolède où, sous Alphonse le Sage à la fin du XIIIe siècle. Le Coran comme le Talmud et les textes venus de l’Antiquité sont traduits en castillan dans une Ecole qui a fait l’admiration des grands Abbés de Cluny. Mais les deux siècles suivants, qui culminent avec la chute de Grenade en 1492, connaissent des émeutes anti-juives.
Le Concile de Zamora en 1313 réduit leur rôle et ils se
voient concentrés dans des quartiers spécifiques, les juiveries (Juderias)
avant d’être définitivement contraints à la conversion ou à l’exil. C’est sur
la restauration, la revitalisation culturelle et l’interprétation touristique
de ces quartiers que travaille le Red de Juderias de España, l’une des
composantes du réseau responsable de l’itinéraire du patrimoine juif.
Un parcours initiatique
Dans ce réseau, la ville de Tudela sur l’Ebre, en Navarre a connu la célébrité grâce à une personnalité exceptionnelle : Benjamin de Tudela. Il quitte en effet l’Espagne pour les lieux saints entre 1159 et 1163 et pour n’y revenir qu’en 1172. Il aura, selon son propre témoignage, parcouru le sud de la France, l’Italie et la Grèce. Il s’est arrêté à Constantinople, a parcouru des routes qui se situent aujourd’hui en Syrie, au Liban, en Israël, en Irak, fait le tour de la péninsule arabe et fait étape en Egypte et en Afrique du Nord.
Son récit de voyage, publié en hébreu, puis en latin a été largement traduit et commenté, en particulier en anglais par A. Asher en 1840-1841. Le but du voyage visait certainement une meilleure connaissance du sort des communautés juives dans tous les pays traversés et surtout de leur degré d’indépendance par rapport aux pouvoirs locaux, à l’époque des grandes croisades et à un moment où de nombreuses communautés espagnoles songeaient à l’émigration. En ce sens, ce document reste certainement le meilleur témoignage des rapports interreligieux en Méditerranée à cette époque.
Mais il va bien au delà en proposant une description assez minutieuse et quasi ethnographique, aussi bien de la cour du Calife de Bagdad que de la vie quotidienne dans les villes médiévales. On rencontre dans ses textes les teinturiers de Brindisi, les tisserands de soie de Thèbes ou les tanneurs de Constantinople. On y découvre l’organisation des synagogues d’Egypte et la description de certaines sectes.
Benjamin de Tudela est aussi l’un des
premiers occidentaux qui mentionne, avec tout le légendaire rapporté par les
commerçants d’Orient : la Chine, la Cochinchine ou Ceylan.


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