Le Tourisme culturel, vecteur des échanges culturels et sociaux en Europe. Réunion de l'Organisation Mondiale du Tourisme. Madrid 2000.

 


Madrid. Cliché MTP.


Le tourisme culturel et ses contradictions

 

En participant à cette réunion organisée par l’UNESCO et l’Organisation Mondiale du Tourisme sur les rapports entre le Tourisme et la Culture, à l’emplacement même où se déroulent les Routes de la Soie, je ne peux qu’évoquer pour commencer le long attachement que je porte à ce thème de civilisation, la soie, qui a été porté par l’UNESCO dans la direction de la tolérance et du dialogue entre les peuples et par le Conseil de l’Europe, dans sa recherche d’une Europe ouverte sur les autres continents qui l’on influencée, au cours de son histoire.

C’est en effet au milieu des années quatre-vingt que les deux institutions internationales se sont retrouvées sur ces routes communes. Elles ont su travailler de manière tout à fait complémentaire, non seulement en fonction de leurs compétences territoriales, mais surtout en fonction de la réalité historique du sujet. Des routes de caravanes reliant l’Est à l’Ouest, où se sont déplacés hommes, marchandises et religions, la soie est devenu un élément constitutif d’une Europe qui a su adopter les techniques agricoles et artisanes du monde arabe et les porter, après plusieurs siècles vers les techniques industrielles et vers le monde de la mode.



Doudou Diène. Promoteur des Routes de la Soie à l'UNESCO.


Dans ce travail complémentaire la question du rapport singulier entre culture et tourisme s’est trouvé posée dès le départ des programmes, mais dans l’ordre même où je viens de prononcer les deux termes : la curiosité scientifique et culturelle précédant toujours la démarche touristique et lui donnant naissance, comme si cet antécédence constituait la clef d’une démarche de mise en tourisme qui respecte des valeurs fondamentales défendues par ces deux institutions : le respect des faits historiques, le respect de la confrontation des identités religieuses et culturelles, la protection du patrimoine et sa transmission dans un discours ouvert sur l’autre.

Ce simple rappel vise à rétablir un fait qu’il ne faut certes pas oublier. Si on rencontre de plus en plus souvent les termes tourisme et culture de plus en plus souvent associés dans les travaux des responsables de l’aménagement du territoire, comme dans les propositions des opérateurs touristiques, la notion de « tourisme culturel » n’est pas en soi vraiment nouvelle. On doit même dire que les premières formes de voyages et de tourisme ont été tout naturellement culturelles, liées à la recherche de hauts lieux religieux et attirant le cheminement des pèlerins, fondées sur la confrontation à de nouveaux espaces et à des identités différentes. Initiation religieuse ou séculière, il s’agit d’abord de voir, d’apprendre et de revenir différent plus tolérant.

Il est vrai qu’au cours de ces trente dernières années c’est surtout la volonté d’introduire de nouvelles pratiques touristiques pour faire face aux dangers pour le patrimoine culturel et naturel de la sur fréquentation et de la surexploitation des sites, qui est une conséquence incontournable du tourisme de masse, qui lui a redonné toute sa signification. 

Les premières interrogations sur les limites et les dangers du tourisme extensif ont commencé à se faire jour dès les années soixante-dix où les sociologues ont commencé de souligner que dans ce type de voyage unifié et industrialisé «  le touriste ne voit rien. Au fond, il ne cherche rien d’autre que la confirmation de son opinion préconçue, c’est-à-dire qu’il veut pouvoir bénéficier du confort auquel il est habitué et retrouver dans la réalité l’image fausse qu’il s’est forgée du pays d’accueil. » (R. Renschler).

Mais il ne faut pas oublier que le tourisme qui prend pour objectif la pratique culturelle est par essence le tourisme de tous les dangers. Ces dangers tiennent aux fortes contradictions qui le traversent. En effet, en dehors des professionnels du tourisme sans qui la mise en oeuvre de tels produits n’existerait pas, ou serait confinée à de simples démarches individuelles, un ensemble de partenaires participent à l’élaboration de l’offre, entre autres les professionnels de la culture, les associations culturelles, les responsables publics et les élus, qui les uns et les autres, expriment par nature des souhaits contradictoires.

D’un côté, il s’agit de la recherche du respect et de l’intégrité des faits culturels, la nécessité de respecter les chartes et les conventions sur la protection et la valorisation du patrimoine, la volonté d’un aménagement culturel équilibré et durable du territoire, l’implication d’actions sociales et éducatives qui fassent que les visiteurs participent aussi de la constitution de l’offre, qu’elle soit à la fois le reflet de leur identité passée, sans folklorisation  et de leur réalité sociale actuelle, sans exclusion.

De l’autre, on tendrait plutôt à privilégier les lois du marché en instrumentalisant la culture vers ses avatars les plus « attractifs », d’une offre de loisir pour le plus grand nombre ou bien, à l’opposé vers la recherche de manifestations de prestige réservées à une élite, ou bien encore d’un partenariat économique tourné vers la priorité de l’équipement de luxe.


 

Madrid. Cliché MTP.


La lecture des catalogues des tour operators les mieux intentionnés à l’égard de l’esprit de découverte et les activités culturelles laisse trop souvent penser que l’on est encore face à une offre dont les typologies restent relativement peu diversifiées, face à une demande qui semble par contre de plus en plus exigeante.

Le contexte économique et social du tourisme culturel révèle de véritables fractures. Il est donc en passe de devenir de ce fait un des lieux privilégiés des contradictions de la société qui le met en oeuvre et un des signes les plus tangibles de sa « santé culturelle ».

 

La prise de conscience des Institutions internationales

 

Lors d’une réunion qui s’est tenue à Bruxelles les 8 et 9 novembre 1976, différents partenaires culturels et touristiques réunis par l’ICOMOS ont signé la charte du tourisme culturel. L’ICOMOS ne faisait que rendre tangible, sous forme d’un texte de recommandation les préoccupations déjà engagées par un certain nombre d’institutions internationales.

Les 13 et 14 octobre 1964, un groupe de travail du Conseil de l’Europe intitulé « L’Europe continue » écrivait en préambule de son rapport : « Afin de donner une forme concrète à son action, le Groupe de Travail a orienté ses recherches dans le sens de la prise de conscience des hauts lieux culturels. Ses trois objectifs étaient présentés ainsi :

- la prise de conscience de la culture européenne par les voyages;

- le rapport entre la géographie culturelle de l’Europe et les possibilités d’établissement de réseaux touristiques;

- la mise en valeur touristique des grands foyers et carrefours de la civilisation de l’Europe.

Le Groupe de travail a donc estimé qu’il convenait d’accorder une importance plus considérable aux voyages culturels, qui sont l’une des meilleurs utilisations des loisirs. « De tels voyages doivent en effet, constituer non seulement le complément visuel et l’illustration d’une éducation de base acquise à l’école, mais encore une expérience humaine et une occasion de développer la sensibilité personnelle. »

 



L’Europe, entre unification et fragmentation

 

L’histoire récente de l’Europe est caractérisée par un processus d’unification ambitieux qui repose sur l’élimination des motifs de conflits et passe par la recherche de tous les moyens d’une coopération favorisant la réconciliation entre les peuples. Mais ces efforts d’intégration, qui reposent uniquement sur des bases économiques et monétaires et passent par la libre circulation des hommes, des marchandises, des capitaux et des services, ont été confrontés, ces dernières années à une évolution considérable des données politiques, économiques et sociales, pour ne pas parler des conflits en cours. 

L’Espace social et l’espace politique européens sont aujourd’hui affectés par un ensemble de phénomènes qui, au lieu de favoriser son unité, contribuent au contraire à sa fragmentation. La montée du chômage et de l’exclusion sociale, le vieillissement de la population à l’Ouest de l’Europe, ainsi que l’importance grandissante des grands flux migratoires qui la parcourent, sont responsables de difficultés d’intégration, voire de phénomènes de racisme et de rejet des différences qui battent en brèche les utopies généreuses des fondateurs de l’idée européenne. Comme le tourisme culturel, l’Europe est traversée de contradictions majeures.

Parallèlement à la construction économique et politique de l’Europe, qui est un des moyens de l’intégration, la question se pose donc d’une prise de conscience urgente d’une identité européenne multiculturelle et d’un partage de valeurs par les citoyens européens. C’est pourquoi ces différentes institutions internationales, dont principalement le Conseil de l’Europe ont eu pour souci de répondre à ces contradictions en développant des stratégies qui favorisent la cohésion sociale et le pluralisme des cultures. Pour ce faire, l’idée de faciliter la redécouverte par les Européens durant leur temps libre, d’une pratique culturelle touristique tournée vers des grands itinéraires transfrontaliers, voire continentaux devait s’imposer. C’est ainsi qu’est née l’idée du programme des Itinéraires culturels.

 

Les Itinéraires culturels

 

Le Conseil de l’Europe a donné naissance au programme des Itinéraires culturels en 1987, à la suite d’une volonté politique : une Recommandation de l’Assemblée parlementaire en a fixé les buts et les objectifs. Les préoccupations principales de l’Institution à ce moment de l’histoire de l’Europe avaient été prises en compte : 

- l’intégration européenne et l’articulation entre les identités spécifiques et les identités générales;

- la connaissance de patrimoines communs aux Européens, enrichis de leur diversité;

- l’augmentation du temps libre et la nécessité de permettre aux Européens d’améliorer la qualité de leurs loisirs.

 

En mettant en rapport ces trois données, l’idée s’est donc fait jour de s’appuyer sur les patrimoines culturel et naturel, au sens large, de proposer des parcours de redécouverte de l’Europe par le tourisme culturel, tout en conduisant des actions de développement social, économique et culturel.

Le premier grand thème, le premier grand chemin qui a été choisi porte sur une route de pèlerinage : « Les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle ». Pour quelles raisons ce thème a-t-il été choisi en premier ? Il s’agit d’abord d’un vrai chemin historique qui a connu les parcours continus de millions de personnes depuis le début du Moyen Age, en route, ensemble, vers un lieu chargé d’un sens sacré. Des Européens de toutes origines sociales, de tous âges et de toutes cultures s’y sont retrouvés et ont eu le temps de partager leurs découvertes et de dialoguer. Leur but a évolué au fil des époques. Pour certains, il s’agit toujours d’un but religieux, pour d’autres, de la volonté de faire un retour sur eux-mêmes, l’espace d’un parcours, pour d’autres enfin, d’une épreuve physique et sportive, d’une activité de loisirs. Tous parlent par contre de la même manière de la découverte de l’espace et des paysages, de la découverte de l’autre : compagnon de route ou habitant des villages et des villes traversées. Ces chemins, qui avaient déjà connu une renaissance depuis la dernière Guerre Mondiale, avant que le Conseil de l’Europe ne leur donne l’ampleur et l’exemplarité d’une démarche commune,  ont été remis en oeuvre grâce au travail d’un groupe d’experts européens qui se sont penchés sur les données historiques et sur leurs parcours. Ils fédèrent un certain nombre d’associations de pèlerins, de randonneurs, de marcheurs. Ils font également l’objet d’une signalétique sur une partie de l’Europe, en proposant un logotype qui reprend à la fois l’idée de convergence et la forme de l’emblème des pèlerins : la coquille. 

Cette démarche initiée il y a plus de dix ans ne s’est pas interrompue depuis, elle a au contraire gagnée différents pays et différentes régions d’Europe : les Voies Historiques de la Suisse, les Provinces de Namur et de Liège, les Pays-Bas et la Belgique néerlandophone, les chemins de Saint-Michel dans le Comté des Cornouailles anglaises. Elle permet d’établir des coopérations entre des communes et des villes qui se penchent ensemble sur la qualité du patrimoine et de l’accueil et apprennent à travailler dans un espace transfrontalier et transcontinental.

 


En 1987, l’habitat rural a constitué le second thème de redécouverte et de relecture de l’Europe. L’idée était d’amener les Européens à retrouver, dans le paysage transfrontalier, les proximités de style des architectures vernaculaires et par là même de reconstituer, au-delà des frontières actuelles, des continuités socio-économiques et humaines. 

Quatre circuits d’interprétation ont été mis en place entre le Grand Duché de Luxembourg, la Wallonie en Belgique, la Lorraine en France et en particulier la vallée de la Moselle et deux Länders allemands, la Sarre et la Rhénanie-Palatinat. Les circuits de visite balisés ont été accompagnés de cartes, guides, outils d’interprétation, aussi bien sur l’architecture elle-même que sur l’espace environnant. Mais cette démarche s’est aussi accompagnée d’un remarquable travail de restauration. Ainsi rien qu’au Luxembourg, huit mille maisons ont été restaurées ou réaffectées. Des recherches sur les styles, par exemple l’influence baroque, ont été menées et  des publications techniques sur les maisons à enduits ont été réalisées. Le travail s’est déroulé dans le cadre d’un atelier de coopération transfrontalier entre les architectes, les écoles d’architecture, les responsables du patrimoine, des parcs naturels, les agents de développement et les habitants eux-mêmes. Il s’agit bien en effet d’un patrimoine encore habité, tout le contraire il est vrai d’un patrimoine muséographié. 

En dehors du tracé des parcours, des expositions, des publications de conseils aux maîtres d’oeuvres et aux maîtres d’ouvrage, ainsi que des concours ont permis de fédérer tous les acteurs qui concourent à la conservation, à la protection et à la valorisation du patrimoine bâti et de l’environnement. Cet exemple a été de plus transposé aux régions transfrontalières entre l’Espagne et le Portugal, puis plus récemment aux Pays d’Europe centrale et orientale. Un premier concours portant sur les nouvelles architectures dans les villages d’intérêt patrimonial et touristique a déjà eu lieu cette année. Le jury s’est réuni en Roumanie, à Sibiu et a attribué le premier prix à un « Home » pour personnes âgées en Hongrie. Ce premier prix ayant été doté par le Ministère de la Culture de Roumanie, cela démontre clairement que des oppositions politiques entre les pays, fondées sur les revendications des minorités, peuvent trouver des formes de solutions au travers des actions des itinéraires culturels.

 

La suite du parcours

 

Ces deux premiers exemples situent bien, chacun à sa manière, deux des grands enjeux des Itinéraires culturels. Reprendre un grand chemin historique constitue une grande tache qui trouve ses résultats dans les coopérations et le rétablissement de continuités en Europe. Mais s’adresser au domaine transfrontalier permet également une découverte de proximité : les racines communes qui existent toujours entre voisins, de part et d’autre des limites des nations.

A partir de ces premiers thèmes, d’autres sujets ont été élus par le Conseil de l’Europe. Leur choix a été guidé à la fois par le souci de s’adresser à tous les espaces géographiques de l’Europe, à des collectivités de toutes dimensions et de couvrir l’ensemble de l’histoire européenne, tout en trouvant des domaines d’application qui correspondent aux besoins et aux attentes des Européens aujourd’hui. Par exemple, le thème des Vikings permet de valoriser et de mettre en oeuvre des projets dans l’espace de la Mer Baltique et de le relier au reste de l’Europe. 

Celui de l’Heritage Al-andalousi, de faire renaître le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée. 

Certains thèmes permettent de mettre en relation des initiatives locales dispersées sur les territoires : les Fêtes et Rites populaires. 

D’autres, comme l’influence monastique, suscitent à la fois une redécouverte des patrimoines religieux et des rencontres d’étudiants sur la question des confrontations des cultures religieuses monothéistes.

 

Les chemins de la soie

 

Ce thème, retenu dès les débuts du programme possède la qualité de répondre à une grande partie des buts et objectifs des itinéraires culturels. Il concerne à la fois l’urbain et le rural. Il se développe sur plus de onze siècles de l’histoire de l’Europe jusqu’aujourd’hui. Il allie un ensemble de patrimoines matériels et immatériels, tout comme des savoir-faire artisanaux et industriels.

Il s’est inspiré de deux modèles :

- un modèle rural, très éclaté dans les vallées cévenoles où deux marqueurs identitaires très forts, le protestantisme et l’éducation du ver à soie ont forgé à la fois les mentalités, le paysage et la structure même des villages;

- un modèle urbain sous forme de parcours d’interprétation de la société industrielle dans la petite ville de Macclesfield à côté de Manchester.

Dans les Cévennes, tout part de l’activité du ver à soie, depuis la mise en place des cocons sur des fagots de genêt, selon les techniques anciennes, pour aboutir  aux filatures expérimentales et aux expériences de bouturage in-vitro du mûrier. L’espace paysager est fortement influencé par cette activité : cultures en terrasses, bâtiments dispersés, importance des mûriers, des forêts de châtaigniers. Il y a un certain nombre d’années, les mûriers étaient dispersés, puis ils ont été rassemblés près des magnaneries et les races ont été améliorées à partir d’une variété japonaise, plus petite et permettant une récolte des feuilles plus commode, façonnant de manière différente le paysage. En dehors des magnaneries et des filatures dispersées, bâtiments sévères, rectangulaires, fermés sur eux-mêmes, on trouve dans les villages des bâtiments industriels de grande qualité architecturale, aux fenêtres en arceaux ouvertes à la lumière nécessaire pour le travail minutieux du  dévidage des cocons et de la filature. C’est une culture également très marquée par le travail des  femmes. En effet, elles étaient responsables de l’éducation du ver et faisaient même éclore les oeufs sur leur poitrine. Dans certaines des manufactures, les « usines-couvents » on trouve encore la trace des chambres des ouvrières qui séjournaient là toute la semaine. Leur parcours, au travers des chemins qui reliaient leur maison à la manufacture, constitue la vraie marque historique des chemins de la soie. 

Cette action de remise en valeur est donc globale. Le redéploiement économique, le redémarrage récent de la filière de production, du fil au tissu, va de pair avec les démarches culturelles, patrimoniales et muséographiques pour établir la manière dont ce pays se présente à ses visiteurs. Le dialogue qu’il entretient avec eux se fonde sur une fierté retrouvée de son histoire et de son identité.

Dans le Nord de l’Angleterre, c’est bien au contraire d’une histoire urbaine dont il est question. Une histoire sur laquelle les collectivités ont dû faire un travail de deuil, après les grandes crises du textile, pour en donner une interprétation patrimoniale, au travers de bâtiments industriels transformés en musées vivants où les outils sont en démonstration active. Les habitants sont impliqués dans ce travail de mémoire, tout comme dans l’accompagnement des visiteurs et la muséographie qui est mise en oeuvre est à la fois didactique et active. La société industrielle trouve là le moyen de s’interpréter et de se transmettre dans sa phase post-industrielle.

A partir de ces deux modèles, un réseau d’échanges d’expériences s’est établi vers le Portugal, l’Espagne, le Pièmont italien, le Nord de la Grèce, la Turquie et certains pays d’Europe centrale, comme la Roumanie. L’histoire d’autres fibres, comme le coton, la laine ou le lin  est venue enrichir cette première action sur la soie, donnant lieu à un grand réseau d’actions textiles en Europe.

 



Sentier en ville : les fortifications de Luxembourg

 

Il me paraissait également important de vous présenter le sentier de découverte et d’interprétation réalisé ces dernières années sur les fortifications de la ville de Luxembourg car il prend en compte une démarche globale comportant la revitalisation de quartiers anciens, la restauration scientifique des fortifications, la mise en place d’outils d’interprétation et la relecture de la stratigraphie de l’Europe. Les images ou les dessins réalisés au XIXème siècle pendant la période d’occupation prussienne et visant à montrer le système de défense de Luxembourg illustrent bien le fait que cette ville ait été nommée la « Gibraltar du Nord ». Dès la fin du Xème siècle, la première enceinte du premier château a été mise en place. Elle a été progressivement élargie avec des systèmes de murailles dont le plus important est l’enceinte de Wenceslas (ou Wenzel), Roi de Bohême et Comte de Luxembourg. 

Luxembourg a de plus connu des occupations successives : celle des Espagnols, des Français, des Autrichiens, des Prussiens qui ont toutes laissé des traces dans la constitution d’un pays original par sa multi-culturalité. Les fortifications ont été démantelées à la fin du XIXème siècle et étaient restées à l’état de ruines jusqu’à leur prise en compte patrimoniale par le Service des Sites et Monuments nationaux et à l’ouverture d’un premier itinéraire Wenzel en 1995, l’année où Luxembourg était capitale européenne de la culture. Ce circuit se parcourt en 100 minutes et permet de fait, de relire 1000 ans d’histoire. Son objectif est à la fois d’offrir un ensemble de points de vue sur la ville, mais de permettre de lire les chocs successifs qu’elle a subis et les influences dont elle a su provoquer la synthèse. Il croise un sentier écologique et s’articule sur différents musées d’histoire, d’art et d’histoire naturelle dont il devient l’élément fédérateur. Un second circuit sur le XVIIème-XVIIIème siècle, prenant en compte les fortifications de Vauban, est en cours de réalisation et doit ouvrir en 1999, ainsi qu’un musée de la forteresse, site d’interprétation des savoir-faire militaires.

La mise en oeuvre d’un tel itinéraire implique le respect des faits historiques et une recherche archéologique pluridisciplinaire passant par l’étude des squelettes, la dendrochronologie ou l’archéobotanique. Il permet tout particulièrement d’illustrer concrètement le respect des chartes du patrimoine bâti, comme celle de Venise et les conventions de protection et de valorisation des patrimoines architectural et archéologique. Dans la présentation des fortifications, on différencie en effet facilement ce qui est neuf et ce qui est ancien, comme ce qui est de l’ordre du témoignage à partir de documents. Les différences de couleurs, la mise en oeuvre de matériaux contemporains, comme le béton, rendent cette lecture aisée.




 

L’exemple des jardins européens

 

Si je termine par l’exemple de l’Itinéraire des Parcs et Jardins, c’est que le thème réunit en lui-même plusieurs des questions qui sont posées dans le  rapport de l’urbain à l’environnement, le rapport du citadin - et en particulier les plus jeunes - à la nature, la mixité des patrimoines (culturel, matériel, immatériel, naturel, voire génétique...) et la difficulté d’interpréter des patrimoines dans un esprit pluridisciplinaire et global.

Le traitement global de ce thème constitue en effet par essence l’un des moyens concrets d’établir le pont entre les cultures artistiques, scientifiques et techniques et de mettre en oeuvre des continuités à l’intérieur de l’Europe en terme d’influences. Les grands modèles de jardins, les approches, voire les textes littéraires qui les ont inspirés se sont exportés. Les créateurs et les responsables de jardins sont aussi des voyageurs et ils ont appris à faire voyager les plantes et à les faire se rencontrer.

Enfin, le thème des Parcs et Jardins a été choisi parce qu’il permettait, à côté des patrimoines majeurs qui sont déjà connus, de mettre en réseau des jardins plus discrets et pourtant porteurs de messages, des jardins qui sont le fruit de la conception, de la transmission et du travail d’un homme, d’une famille, d’une collectivité...

Cette dimension de citoyenneté et de transmission est particulièrement importante dans le cas des jardins qui sont toujours en devenir et qui doivent bénéficier pour être transmis aux générations suivantes, d’une approche partagée. Quelques-uns de ces jardins, dont le futur « Jardin des deux rives »ont été rassemblés dans un livre, sous le titre « Leçons de jardins à travers l’Europe ». J’en ai choisi trois pour terminer cet exposé.

 

          Terrasson, les Jardins de l’Imaginaire

 

Le premier jardin que je souhaitais vous présenter est situé dans une petite localité du Périgord, une ville de 6.500 habitants : Terrasson. Le patrimoine architectural de cette ville est intéressant et attire déjà les visiteurs, mais la question de la fréquentation touristique se pose bien entendu dans un contexte régional où les sites préhistoriques constituent des sites majeurs vis-à-vis desquels il faut proposer une alternative forte. Au-dessus de la vallée de la Vézère et de la ville il existait un espace en bordure de forêt permettant de découvrir l’ensemble du site. Après l’exploration de différents projets d’animation, c’est ce site même qui a été choisi pour créer un jardin. 

A la fin des années 80, un concours architectural a été lancé pour aménager cet espace sur une programmation très ambitieuse, puisqu’il s’agissait de traiter des jardins de l’Humanité, de présenter en quelques sorte des « fragments de l’histoire des jardins ». La lauréate, Kathryn Gustafson, aidée de Philippe Marchand et Ian Ritchie, a réalisé cet espace à la fois à partir de matériaux récents et de techniques traditionnelles, comme les murs de pierre enserrés de fils de fer, les gabions. Des tunnels de verdure, un fil d’or placés au travers des arbres, ainsi que de grands archétypes symboliques, permettent de visiter ce jardin à la manière d’un livre de contes. Une lecture du paysage lui-même est prévue à partir d’un petit amphithéâtre. De grandes girouettes mettent le jardin en communication avec les éléments naturels. Un élément fort de la structuration de ce jardin est élément aquatique, canalisé ou bondissant, jaillissant aussi du sol dans un jardin d’eau revisité par l’esprit de la modernité. Cette eau finit sa course sur des gravures placées au sol et reprenant les cartes géographiques d’un certain nombre de grands fleuves du monde qui renvoient le jardin à sa dimension planétaire.

Ce jardin a également établi un dialogue avec différentes classes des environs, tant au niveau du primaire que du secondaire, à Terrasson même ou dans les classes uniques des villages environnants. Le sujet des jardins est ainsi devenu le fil conducteur de projets d’écoles, tout comme celui des classes informatiques du lycée qui ont créé un site internet. Ce jardin, outre son importance en terme d’aménagement de l’espace et du territoire rural, apporte aussi une des clefs de lecture des jardins : lecture ésotérique et symbolique dont il faut aujourd’hui restaurer l’authenticité.

 


Cliché Jacques de Givry.

          

Le prieuré de Salagon

 

Un travail très important a été entrepris dans l’espace qui entoure le prieuré de Salagon dans les Alpes de Haute-Provence. Les plantes sauvages, les plantes cultivées à différents moments de l’histoire, depuis les jardins de Simples, les jardins potagers, jusqu’aux jardins de senteurs, sont confrontées aux cultures agricoles, en particulier aux céréales. Dans ces jardins, on parle d’abord de l’usage des plantes, de leur dialogue avec l’homme, de leurs noms et de leur proximité des hommes, dans une approche ethnobotanique qui restaure une lecture quotidienne de l’art des jardins en Europe. Entre collection botanique et jardin historique, Salagon a su trouver un autre parti, celui de la dimension humaine.

 


Cliché Jacques de Givry.

          

Le jardin des Trois Cultures

 

Le troisième de ces jardins a été créé à Madrid en 1993, siège de l’Organisation Mondiale du Tourisme par l‘architecte Myriam Silber Brodsky, lorsque la ville était capitale européenne de la culture. Il s’agit ici d’une intention également fortement symbolique puisqu’elle consiste à relier en trois cercles qui se recoupent, les formes et les structures fondamentales des trois grands types de jardins nés au sein des trois grandes religions monothéistes, la chrétienne, la juive et la musulmane. Expressions de la foi qui ont coexisté dans l’Espagne arabo-andalouse. Le jardin, par ses plantes même et par son dessin fait référence aux textes sacrés. Il met résolument en oeuvre un sens du dialogue inter-religieux, tout comme une affirmation de tolérance.

 


Cliché Jacques de Givry.


En forme de conclusions : un règlement, des thèmes, des actions, des réseaux

 

Depuis mars 1998, un règlement concernant les Itinéraires culturels a été annexé à une résolution adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui crée par ailleurs un Institut Européen des Itinéraires culturels à Luxembourg. Le projet des itinéraires culturels y est clairement annoncé comme un instrument de lisibilité des valeurs européennes qui se dégagent de la complexité des cultures et des sociétés qui ont constitué l’Europe. Il repose sur des thèmes représentatifs des valeurs européennes. 

Peuples, migrations, grands courants de civilisation qui, de plus sont communs à plusieurs pays d’Europe. 

Ces thèmes sont pris en charge par des réseaux pluridisciplinaires implantés dans plusieurs Etats membres

Ces thèmes se déclinent dans un ensemble de projets de coopération multilatérale

C’est le rôle de l’Institut de suivre toutes ces actions et de permettre aux membres des réseaux de se tenir informés en permanence de l’ensemble du programme. 

L’Institut a regroupé toutes les archives et la bibliothèque du programme et il a engagé de véritables partenariats avec les Etats et les collectivités territoriales qui sont impliqués, mais aussi avec des opérateurs privés qui souhaitent engager des opérations pilotes. 

Ainsi, d’une utopie initiale, ce programme est maintenant doté d’un outil de liaison qui est à même de recevoir les nouvelles propositions, de les analyser et de les transmettre ensuite au Conseil de l’Europe, en vue de leur élection.

  

Michel THOMAS-PENETTE

 

Bibliographie :

 

Repousser l’Horizon. Itinéraires et réflexions en Europe pour le troisième millénaire. Conseil de l’Europe-Editions du Rouergue, 1994.

Les Itinéraires culturels. Michel Thomas-Penette. Centre Européen de la Culture, Actes Sud, Paris, 1997.

Les Itinéraires culturels européens. Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1998.

Itinéraire Wenzel. 1000 ans en 100 minutes. Editions Saint-Paul, Luxembourg, 1995.

Leçons de Jardins à travers l’Europe. Editions Alternatives, Paris, 1998.



Madrid. Cliché MTP.

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