Claudia Constantinescu. Habitat rural, patrimoine et citoyenneté. L'Importance des interventions contemporaines.
Dans cette même salle, on a parlé un peu plus tôt, du fait que la relation « Culture – Europe – Citoyenneté » devrait absolument passer par l’espace citadin. A mon avis, cette affirmation est parfaitement exacte, adéquate et correcte. Néanmoins, puisque la plus grande part de ma vie s’est déroulée dans un pays est-européen, dont plus de la moitié de la population vit non pas « dans le milieu rural », mais tout simplement à la campagne – au sens le plus propre, primordial et brut de ce mot, je ne saurais ignorer le fait que pour ces gens-là aussi, la question de la citoyenneté européenne devrait se poser en termes comparables à ceux qui vivent partout ailleurs. D’autant plus que les problèmes auxquels ces gens-là sont confrontés semblent être similaires à ceux qui se posent dans une grande partie des pays européens.
Cette conclusion appartient, en fait, à un groupe est-européen de spécialistes en architecture et en patrimoine. Cette équipe, dont je faisais partie a constaté un phénomène apparemment simple : à présent, ou plus précisément après la chute des systèmes sociaux et politiques de nos pays, on est arrivé à une situation où, dans ces vastes espaces – qu’on pourrait nommer, de manière générique, « la campagne », mais qui thésaurisent tout un patrimoine d’architecture et de savoir-faire – on construit à peu près au hasard et n’importe comment.
Et l’explication qu’on donne d’habitude : à savoir que, de nos jours, il n’y a plus d’argent, ne tient pas, étant donné que, presque à chaque pas surgissent des bâtisses terriblement – voire même affreusement – opulentes.
Le même phénomène existe en
Roumanie, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie. On peut constater que même là
où il y a un cadre juridique qui serait à même de réglementer l’aménagement du
territoire et les permis de construire ; les moyens d’appliquer la loi ne
sont nullement aussi performants que la loi elle-même, tandis que les anciens
bâtiments, qui étaient déjà en difficulté, souffrent et se dégradent une fois
de plus à cause de cette insertion de nouvelles bâtisses, tout à fait
indifférentes à ce qui se passe autour.
En théorie de l’architecture, la notion d’intervention architecturale contemporaine a, de plus en plus, tendance à minimiser la relation établie par l’objet architectural avec le contexte où il s’inscrit. De sorte que l’analyse du tissu urbain existant, du rapport entre la nouvelle intervention et l’échelle de la ville, du village, de la rue ou du paysage – le cas échéant – l’étude des voisinages, de la position géographique et, last but not least, la compréhension de la culture locale sont autant d’éléments qui peuvent aboutir à l’accomplissement d’un projet contemporain censé ne pas s’opposer à l’espace où il va prendre place, mais bien au contraire, de composer avec lui.
Se situer dans le présent, sans pour autant perturber l’équilibre établi par la stratification du temps passé, savoir analyser les traces de l’histoire afin d’être à même de dessiner sa propre trace ne veut nullement dire, selon nous, adopter une position « passéiste » ou « nationaliste-identitaire » en ce qui concerne la création contemporaine en architecture ; tout au contraire, cela veut dire, à notre avis du moins, ne pas appliquer des recettes « toutes faites », « à l’américaine », dans le seul but d’atteindre une soi-disant modernité élargie à l’échelle planétaire et dont la banalité est loin d’être le seul et moindre défaut !
Cependant, au-delà de la théorie, il faut chercher les causes pratiques de ce phénomène. Sans absoudre l’architecte – le maître d’œuvre ! – de ses responsabilités, il faudrait quand même rappeler ici qu’un mot - non négligeable - revient au propriétaire ; à savoir à celui que l’on pourrait appeler le « maître d’ouvrage ».
Tout cela sans oublier que, à
l’étape suivante, l’un et l’autre vont dépendre des élus du jour et des
politiques locales visant à conserver le patrimoine et à aménager le
territoire. Qui plus est, vu que la première ligne est tracée directement sur
le terrain, le sort de l’accomplissement du « projet » dépend, en
grande mesure, de l’habileté et des moyens du maître ouvrier, soit-il un simple
maçon ou la meilleure entreprise de construction.
Toutes ces constatations nous ont déterminé à
proposer à l’Institut Européen des Itinéraires
Culturels – c’est-à-dire, de manière implicite, au Conseil de l’Europe –
d’inclure dans l’Itinéraire de l’Habitat Rural un concours d’architecture
destiné à tous les pays est-européens signataires de la Convention Culturelle européenne. La Serbie et le Monténégro étaient éligibles. Et
l’Institut a dit « oui ».
Ceci ne veut pas dire que monter ce projet – pour ne rien dire de sa mise en pratique ! – fut facile. C’est un fait bien connu que, d’habitude, même dans les pays qui jouissent d’une expérience beaucoup plus vaste en projets interdisciplinaires, la collaboration entre les différents ministères compétents ne va pas de soi. Encore moins lorsqu’il s’agit d’une proposition venue de la part de la société civile ou de différentes structures professionnelles.
Dans notre cas, la structure support a été l’Union des Architectes de la Roumanie, en collaboration avec les Unions ou les Sociétés des Architectes des pays de l’Europe de l’Est. Et les partenaires invités à collaborer à la réalisation de ce concours ont été – à part l’Institut Européen des Itinéraires Culturels, qui nous a accordé beaucoup plus que son assistance technique et son support efficace – le Ministère de la Culture et le Ministère des Travaux Publics et de l’Aménagement du Territoire (Roumanie), la Direction d’Architecture et Patrimoine du Ministère de la Culture et de la Communication (France), le Service des Sites et Monuments Nationaux (Luxembourg), auxquels se sont ralliées quelques entreprises de construction de la Roumanie et du Luxembourg, qui ont accepté de sponsoriser une petite partie des prix décernés.
Quel fut l’objet de ce concours, qui a déjà eu deux
éditions – 1998 et 1999, y compris un séminaire international sur
« L’Architecture Contemporaine dans les Sites Ruraux », qui fut
organisé à la fin de la première édition et qui a réuni dans la bibliothèque de Constantin Brancovan du monastère de Horezou (Roumanie) des membres du jury,
des architectes lauréats et des Présidents des Unions des Architectes de
l’Europe de l’Est ? (Il faut ajouter également que la seconde édition a
été incluse dans la campagne du Conseil de l’Europe ; « L’Europe, un
patrimoine commun ».)
Il s’agissait, tout d’abord, d’un concours pour des projets déjà réalisés, et cela après l’an 1990. Les dossiers de candidature pouvaient être déposés par l’architecte ou par le propriétaire du bâtiment (de l’ensemble) ; le propriétaire recevait un tiers du prix accordé, tandis que deux tiers seulement revenaient à l’architecte. Un prix spécial était accordé à l’entreprise de constructions ou au maître ouvrier local pour l’excellence de la mise en œuvre du projet. Les résultats des projets (des constructions nouvelles, des interventions sur l’existant, les aménagements urbains, ruraux ou paysagers) devaient être situés dans des localités de moins de 10.000 habitants, ce qui, pour certains pays était déjà une petite ville.
Voici quelques-uns des buts déclarés du concours (et je cite ici du règlement distribué aux participants) :
- de mettre en valeur les
interventions architecturales contemporaines réalisées dans le respect des
traditions et des cultures locales, sans que pour autant elles refusent les
formes et les matériaux actuels;
-
de créer un événement susceptible d’attirer l’attention sur la
nécessité d’adopter des règlements concernant les nouvelles interventions dans
les petites villes et dans les villages porteurs de patrimoine architectural,
culturel et naturel;
tandis que parmi les critères dont on tenait compte
pour accorder les prix (je cite de nouveau) :
-
l’intégration dans l’environnement (bâti ou naturel);
-
le choix des matériaux et le langage plastique adopté;
-
la qualité des détails et de l’exécution technique;
-
le caractère fonctionnel de l’intervention et sa contribution à la
valeur culturelle du lieu.
Le jury international a opéré sa sélection chaque fois à la suite de longs débats, qui ont en partie préparé l’édition suivante. Chaque fois, les réactions ont été importantes. Par exemple, la participation des architectes à la seconde édition a été beaucoup plus nombreuse et la qualité des projets présentés mériterait bien leur publication dans un catalogue présentant les expositions. Car en effet, après chaque édition, une exposition des lauréats (dont les projets venaient de la Hongrie, de la Roumanie, de la République Tchèque, de la Slovaquie, de la Bulgarie, de l’Ukraine) fut organisée au Musée Brukenthal de Sibiu, au Théâtre National et à l’Université d’Architecture et d’Urbanisme de Bucarest.
Les ouvrages primés – des plans et
des photographies accompagnés par une page de commentaire des auteurs – sont
souvent le résultat de recherches approfondies de plusieurs couches de calque
superposées et de plusieurs lectures parallèles, tandis que les formes
contemporaines proposées par ces architectes qui citent un détail oublié, qui
font un à propos ou qui semblent tourner leur regard vers les gens du pays et
vers les pierres, les arbres, les couleurs qui les entourent paraissent – d’une
manière assez paradoxale ! – surprendre par leur fraîcheur. C’est comme un
retour vers la poésie.
Pourquoi ? La question vise aussi bien les organisateurs du concours, qui ont formulé le message, et les Unions des Architectes, qui l’ont transmis. Mais la cause n’est pas seulement là. Il s’agit également de l’enseignement d’architecture dans les écoles de l’Europe de l’Est et des pratiques architecturales qui séparent encore l’objet du paysage dans son ensemble. Mais ceci est un sujet bien différent…
Mme Constantinescu est architecte à Bucarest, Roumanie.
Campagne "L'Europe, un patrimoine commun".
Commentaires
Enregistrer un commentaire