M. Jean-Louis Luxen. L'Europe, un patrimoine commun. Vision de l'ICOMOS. Septembre 1999.

 


 


Centre de Sibiu. Cliché MTP.


Mesdames et messieurs bonjour. Je voudrais tout d’abord remercier les autorités roumaines pour cet accueil extraordinaire et les féliciter pour leur implication dans la Campagne et remercier également le Conseil de l’Europe pour les bonnes relations de coopération que nous pouvons entretenir ensemble. 

M. Ballester était venu à une réunion de tous nos Comités européens. Il a pu constater la forte implication des élus. M. Martin Malvy, un élu membre du Comité ICOMOS préside par exemple le Comité National français.

Je voulais également souligner l’importance de la coopération avec tous les partenaires du patrimoine, à l’exemple de M. Carlsson qui nous a donné le message qu’il nous fallait passer du monde des professionnels et des spécialistes vers l’implication de l’opinion publique. Nous avons quelques exemples de responsables ICOMOS qui par leur action ont été élus maire de leur ville parce qu’ils avaient défendu le patrimoine. C’est le cas de M. Claudio Torez au Portugal, devenu le maire de Mertola, de M. Marcelo Sanchez en Andalousie. 

Mais il y a aussi des contre-exemples: à Bruges, le responsable  du plan de structure de la ville de Bruges, n’a pas été réélu faute d’avoir pris soin de penser à la pédagogie du public. Je voulais également souligner le parallélisme des démarches du Conseil de l’Europe avec ce que nous essayons de faire progressivement au sein de l’ICOMOS.

 


Maison à Sibiu. Cliché MTP.


Brièvement, cela veut dire que nous passons progressivement de la question du « comment conserver », avec la question technique, les relations entre les disciplines professionnelles, vers des questions plus fondamentales qui sont : « pourquoi et pour qui la conservation ». 

Parmi les thèmes que nous abordons dans nos réunions mondiales nous avons successivement parlé du bon usage du patrimoine : comment valoriser le patrimoine comme une ressource au service du développement humain.

Mais en même temps un second thème nous est cher, celui de l’authenticité,  en veillant à conserver ce qui faisait la valeur propre du patrimoine.  Sur ce sujet nous avons eu des discussions qui sont toujours en cours, en visant à mieux prendre en compte à la fois l’authenticité des différentes catégories de patrimoine, qui bien entendu demandent des conditions différentes. 

Les conservations d’un monument ou celle d’un jardin historique doivent être considérées différemment en terme d’authenticité. Mais il faut aussi respecter une certaine relativité sur la manière dont les différents peuples du monde envisagent leur relation au patrimoine. On peut bien entendu en parler des heures. Les Asiatiques ou les Africains ont une relation au patrimoine fort différente de la notre, dans laquelle ils sacralisent beaucoup moins le matériau et dans laquelle ils font entrer beaucoup plus la dimension de l’intangible ou la dimension naturelle, ainsi que les savoir faire. C’est très important aussi que nous prenions en compte ces différentes approches pour essayer de trouver un langage commun. Nous essayons de travailler au niveau mondial et d’éviter un trop grand européocentrisme. Dans la foulée de ces démarches, le prochain thème qui sera abordé en Afrique est celui du patrimoine intangible. La question des valeurs et de la signification du patrimoine, qui rejoint dans une large mesure les questions fondamentales qui sont abordées ici. 

Je voudrais toutefois dire que franchement quand nous travaillons avec les professionnels, nous avons besoin, après les envolées de fond, d’arriver à des propositions opérationnelles et de se raccrocher à des projets concrets. Ce qui est le cas à Sibiu et dans de nombreuses villes du Monde. J’insisterais encore sur l’importance de la notion de ville. Le Proche-Orient à peut-être créé les premières villes. Le Monde arabe a ses propres villes. Mais ce qui peut-être est spécifique en Europe c’est que, à travers les villes, on est arrivé à un seuil critique qui permettait non seulement le développement d’une certaine culture, des pratiques artistiques, mais plus fondamentalement d’atteindre les libertés publiques. Historiquement, c’est à travers les villes, dès le Moyen Age, et progressivement dans les différentes régions d’Europe, que les premières libertés publiques ont été conquises par rapport au Prince, par rapport au pouvoir absolu. Et même dans une période plus proche de nous, tous les mouvements sociaux du XVIIIème et XIXème siècle, se sont développés à partir des villes. Il y a nombre de valeurs qui rejoignent le titre du colloque et qui n’ont été possibles que par le phénomène de la ville urbaine. C’est quelque chose qui est important à prendre en compte à propos de notre patrimoine, non seulement en termes urbanistiques ou esthétiques, mais aussi en terme des valeurs de citoyenneté et des valeurs culturelles.

Et en termes opérationnels, il me semble que c’est aussi un champ privilégié pour pouvoir opérer la synthèse que nous devons chercher entre la conservation de ce qui nous paraît essentiel dans l’héritage du passé, comme nous l’expliquait M. Lopez, mais aussi le développement. On ne peut pas geler le patrimoine. Il faut que des populations puissent continuer aussi d’y développer leur activité. Il faut accepter les progrès d’un confort moderne. Il faut pouvoir trouver cet équilibre entre conservation de ce qui est essentiel et d’autre part l’acceptation d’un certain nombre de pistes de développement. Et de nouveau,  je crois que dans les problèmes du siècle qui s’ouvre, déjà maintenant, la question de la ville, de l’organisation de la cité, va être, dans le monde et en Europe, une des questions majeures. Nous savons déjà que c’est un cadre de vie à dimension humaine, lorsqu’on parvient à lui maintenir bien sûr cette dimension humaine, qui est tout à fait favorable à l’épanouissement des personnes. Même dans un pays comme la France, par exemple, il est frappant de voir quelles sont les villes qui décroissent et quelles sont celles qui croissent. Les toutes grandes villes font peur et les villes moyennes attirent d’avantage. Ce sont souvent des villes comme Montpellier, Nantes entre autres, des villes dans lesquelles une dimension culturelle et une présence intellectuelle sont fortes qui connaissent l’accroissement le plus important. Il me semble aussi qu’en terme problématique que je résume sous le vocable  « développement durable », il sera de plus en plus nécessaire de s’imposer la discipline d’une vie collective de type urbain. M. Lopez évoquait toutes les questions de l’énergie. Fondamentalement une rationalisation par une plus grand concentration des populations dans les villes permet des économies en matière de transport, d’organisation collective tout à fait évidentes.

 


Bandeau du site web de l'ICOMOS.


Il en est de  même dans le domaine précis de la conservation. Lors d’une réunion récente que nous avons organisée sur la question du « façadisme »,  cette pratique  qui consiste à maintenir la façade et à détruire tout l’arrière d’un bâtiment, plusieurs contributions ont visé à montrer dans une approche qu’on n’avait pas développé jusque là, qu’en terme d’énergie, la conservation était beaucoup plus favorable que la démolition et la reconstruction nouvelle. Je crois aussi, pour terminer, que la ville en Europe est un endroit où toute une série de questions sociales majeures peuvent être posées et tout particulièrement si on parle d’inter-culturel.

C’est une des questions pour laquelle nous nous sommes réunis à Sibiu. Dans beaucoup de nos villes se trouvent des populations immigrées et des populations délaissées. C’est donc par conséquent dans ces villes que se trouve ce défi qui consiste à permettre à ces personnes de trouver leur place dans les sociétés européennes. Et probablement que le lieu de ce qu’on appelle la « reliance » ou celle des solidarités, on peut le mieux les aborder à partir des agglomérations urbaines et non pas dans les banlieues. Lorsque l’Union Européenne développe des programmes d’action culturelle, je préférerai qu’à la limite, ils ne fassent rien au titre de la culture pure; mais qu’ils soutiennent des initiatives visant à ce que dans les villes des programmes de réhabilitation urbaine puissent systématiquement introduire ces dimensions de conservation et cette dimension de solidarité humaine.

Tout dernier mot : on ne porte jamais assez son regard au loin. Il est évident que lorsqu’on est dans l’Union Européenne, on ne demande pas que les programmes se limitent aux Quinze, mais qu’ils soient accessibles aux autres pays de l’Europe. Parce qu’il y a une Grande Europe en termes structurels. Mais je voudrais plaider de la même manière pour un élargissement mondial. Lorsque nous nous réunissons dans un cercle européen, nous ne devons pas nous limiter à une réflexion sur l’Europe. Nous avons une responsabilité et nous avons aussi beaucoup à apprendre d’une relation avec les autres parties du monde. Le monde arabe d’abord qui peut nous apprendre beaucoup pour le problème de la ville. Il  y a une tradition en la matière et il y a des opérations extrêmement importantes à cet égard. Mais les autres parties du monde sont aussi à considérer. Spécifiquement dans le domaine du développement urbain, certains continents connaissent des dérapages dramatiques. Des villes comme Saõ-Paulo ou Mexico ne sont plus des villes. Ce sont des conurbations qui deviennent des enfers. Une réflexion doit être mise en commun et une solidarité de la part de l’Europe doit pouvoir jouer pour qu’un certain nombre d’expériences positives ou négatives que nous avons pu connaître puissent être proposées en échange à des partenaires au-delà de l’Europe.





Campagne "L'Europe, un patrimoine commun".

Ce texte de Jean-Louis Luxen fait partie de l'ouvrage "Carnet de campagne". Maîtresse d'ouvrage de la publication : Claudia Constantinescu.  J'espère que tous les exemplaires gardés dans les archives de l'Institut européen des Itinéraires culturels, distribués gratuitement, n'ont pas été jetés à la poubelle par les Directeurs responsables après que j'ai quitté l'Institut en 2011 (Michel Thomas-Penette). 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Palimpseste

Revenir à 2003. Itinéraires culturels : une proposition alternative pour la diversification du tourisme. Rapport pour le Congrès des Pouvoirs locaux et Régionaux du Conseil de l'Europe (2)

Revenir à 2003. Itinéraires culturels : une proposition alternative pour la diversification du tourisme. Rapport pour le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l'Europe (1)