Itinéraire culturel : Tourisme de mémoire (5). Le Mémorial de Sighet. Michel Thomas-Penette. Le Jeudi 23 juin 2011.





A la frontière de la Hongrie et de l’Ukraine, une institution de la mémoire européenne témoigne d’une entreprise d’effacement par le régime communiste des liens avec le passé. Lieu de parole et d’histoire, il s’adresse autant aux jeunes Roumains qu’aux touristes qui veulent comprendre quel drame mortel s’est joué entre les murs d’une prison. 

La poétesse roumaine à l’origine du mémorial dédié aux victimes du Communisme et de la Résistance de Sighet, Ana Blandiana, a proposé lors de l’ouverture de la Campagne du Conseil de l’Europe en 1999 intitulée « L’Europe, un patrimoine commun » de prendre également en compte le « Patrimoine de la souffrance ». 




Comme elle le dit d’emblée : 

« Parce que les obsessions des souffrances et des culpabilités collectives ne peuvent pas être effacées par l’oubli ou par l’indifférence, mais par une analyse, par la compréhension et même la compassion. » 

La ville de Sighet se trouve située dans le Maramures roumain, une des plus belles régions de ce pays, où les architectures en bois des maisons paysannes dialoguent avec un ensemble d’églises faisant partie de la Liste du patrimoine Mondial de l’UNESCO. 




Silhouettes élancées où le bois s’est patiné de gris, toits simples ou doubles, couverts de bardeaux, ces petites tuiles de bois dont la préparation requiert de perpétuer un savoir-faire ancestral.

 



La prison des ministres

 

C’est dans ce cadre assez idyllique, à la frontière de l’ancienne URSS, que la prison de Sighet (ancienne prison de l’Empire austro-hongrois) a été installée et est devenue la première prison politique de la Roumanie communiste. Un pays qui s’est vu privé progressivement de toutes ses élites. En commençant par les leaders des partis démocratiques, puis les ministres de tous les gouvernements depuis la première guerre mondiale, la haute administration et bien entendu les représentants de toutes les Eglises : orthodoxes, catholiques et gréco-catholique. 

Les artistes, les savants, les universitaires qui n’ont pas voulu adopter le « matérialisme dialectique » n’ont pas fait exception. Mais peut être avant tous les autres, les paysans qui étaient leaders dans leur village et dont certains s’étaient soulevés contre l’Armée Rouge y ont également péri. Non seulement c’est la mémoire d’un peuple que l’on a cherché à détruire, mais plus encore, ceux qui étaient garants de cette mémoire et de son ancrage dans le long terme.  

 



Le projet d’Ana Blandiana et de son mari Romulus Rusan a été de faire parler les témoins, de constituer, à partir de l’Alliance Civique qu’ils ont crée après 1989, un lieu où la parole de la souffrance soit enregistrée et gardée . 

Plus encore, ils ont voulu que chaque année ait lieu une école d’été avec des jeunes Roumains et Moldaves, ainsi qu’une rencontre entre historiens et témoins. 

De cette manière la prison, devenue mémorial et musée, a ouvert dans les anciennes cellules des espaces consacrés aux différentes catégories de prisonniers, mais aussi aux pays de l’ancien bloc communiste, qui ont traversé des épisodes comparables. 




Ce projet a lutté non seulement pour trouver des financements, des aides techniques, mais aussi une reconnaissance sociale et politique. 

« Je me rappelle, raconte Ana Blandiana, comment au moment où j’ai annoncé que nous avions démarré sous l’égide du Conseil de l’Europe le projet de Mémorial, le journal du gouvernement (c’était en 1994) titrait sur sa première page : « Ils vendent les souffrances des Roumains au Conseil de l’Europe », exactement comme en 2000 à Belgrade, les journaux en faveur de Milosevic titraient « L’opposition vend la Serbie à l’OTAN ». 

Ce qui prouve bien que la question n’est pas seulement de militer pour la punition juridique des bourreaux, mais aussi – et même surtout – pour la construction de l’avenir.




Aujourd’hui, après que le chef de l’Etat roumain ait reconnu en 2006 les crimes du communisme, en parlant du traitement d’une population comme « une masse de cobayes soumis à une ingénierie sociale absurde », le mémorial de Sighet a sans doute pris une autre place : celle d’un lieu qui peut montrer concrètement aux plus jeunes ce qu’enseignent théoriquement les manuels scolaires. 

Mais pour tous ceux qui se rendent en Roumanie, c’est certainement le lieu où il faut faire étape si l’on veut comprendre à la fois scientifiquement et de manière sensible comment à chaque essai de supprimer la mémoire, des citoyens se dressent pour transmettre la parole qui risque de s’effacer.

 


Site du Mémorial : http://www.memorialsighet.ro/

Cliché MTP.

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