Michel Thomas-Penette : Le 30ème anniversaire des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe
Mûrier. « l'arbre d’or » des Cévennes
En suivant le Fil de la Soie
Le
hasard d’une rencontre
C’est en 1986, à l’occasion d’une réunion à Toulouse portant sur « La création et les nouvelles technologies » et à l’invitation du Directeur de l’Enseignement, de la Culture et du Sport du Conseil de l’Europe (DECS), José Vidal-Beneyto, que ce dernier m’a parlé du projet naissant des Itinéraires culturels européens.
En
découvrant ma passion pour l’art textile, il m’a proposé de réfléchir aux
composantes d’un itinéraire culturel portant sur la soie en Europe.
J’allais réaliser progressivement comment cette
suggestion m’entraînerait vers une passion à long terme et me permettrait de
répondre à un défi essentiel qu’il faut réinvestir et même réinventer en
permanence : celui de ré-enchanter l’Europe en permettant aux Européens de
se raconter mutuellement leurs diversités historiques et humaines.
Cette passion et ce défi, je les ai partagés pendant
trente années avec des collègues du Conseil de l’Europe, puis de l’Institut
européen des itinéraires culturels et surtout avec des centaines de porteurs de
projets de toutes disciplines et métiers, qu’ils travaillent dans des
institutions, des collectivités territoriales et - de plus en plus
majoritairement - dans des associations de valorisation culturelle,
patrimoniale ou environnementale.
Un défi qui, à partir de 1990, se doublera de la
nécessité de dépasser la grande coupure entre l’Est et l’Ouest du continent, ou
comme le mettra souvent en avant José-Maria Ballester, le véritable « découvreur » de ce programme, de « recoudre » l’Europe,
investissant ainsi sur l’intuition visionnaire de la redécouverte des Cheminsvers Saint-Jacques de Compostelle, une « utopie réaliste ».
De 1987 à 1992 j’ai ainsi préparé et coordonné une dizaine de réunions d’experts internationaux, suivies de rapports, pour tenter de poser les fondements d’itinéraires de la soie, dans un contexte purement européen.
Il a été alors nécessaire de concevoir une mise en œuvre qui ne soit
plus seulement fondée sur des routes matérielles transeuropéennes, mais sur des
réseaux de cheminements locaux, comme celui des fileuses, parcourant chaque
semaine les drailles des Cévennes pour rejoindre les usines-couvents, ou sur
des migrations, comme celle des Sépharades quittant la péninsule ibérique après
la reconquête catholique, ou celle des Huguenots fuyant la France, après la
Révocations de l’Edit de Nantes, et rejoignant ainsi la Suisse, ou le quartier
de Spitalfields dans la capitale anglaise.
Cette ancienne filature de soie, située au bord de l’Arre, au Vigan, abrite aujourd’hui les collections du Musée Cévenol
Les itinéraires culturels abordaient alors aussi bien
les conséquences des conflits religieux, que l’espionnage industriel ou la
circulation des influences artistiques, du monde arabo-musulman aux soieries
anglaises de l’époque victorienne. Une collaboration rapprochée avec l’UNESCO
qui conduisait une étude intégrale des Routes de la Soie, et la proximité de
Doudou Diène, alors Directeur des projets interculturels, m’ont permis de
comprendre encore mieux que les Routes qui parlaient de voyages et d’échanges,
constituaient d’abord et avant tout, des leviers pour établir un dialogue
interreligieux transcontinental fondé sur l’histoire et sur un patrimoine
matériel hautement symbolique d’une culture de la Paix.
On comprendra ainsi que cet itinéraire restera
toujours proche de mes centres d’intérêts et que je militerai pour que le
Conseil de l’Europe le réinvestisse, que ce soit à partir les relations avec la
Chine, en réinvestissant le terminal commercial de Venise, mais sans oublier
tous les autres territoires européens concernés.
Depuis
Strasbourg
De 1992 à 1997, ayant été invité à rejoindre le
Secrétariat du Conseil de l’Europe en tant que Conseiller de programme, j’ai pu
mesurer de plus près comment les Itinéraires culturels pouvaient rendre exemplaires
- et surtout proches des citoyens européens - les fondements de la Convention
culturelle puis, au cours de leur élaboration et de leur mise en place, ceux de
la Convention européenne du Paysage et enfin de celle de Faro sur la valeur du
patrimoine culturel pour la société.
Mais j’ai surtout fait mienne l’idée forte, défendue
par Catherine Lalumière, Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe au moment
du retour des Pays d’Europe centrale et orientale vers des constitutions
démocratiques, ainsi que par Raymond Weber, alors Directeur de la DECS, que les
Itinéraires culturels ne devaient pas constituer seulement une collection de produits commerciaux culturels et
touristiques, même s’ils concernaient le plus souvent des territoires méconnus
et des thèmes d’identités partagées, mais qu’ils offraient d’abord et avant
tout l’occasion d’engager des processus
de réflexion et de coopération culturelle à long terme.
Les expériences concrètes de ces dix premières années
m’ont convaincu, lorsque le Conseil de l’Europe a dû, faute du budget permettant
de continuer à mettre en œuvre le programme, trouver un partenariat extérieur
et un lieu d’accueil, de continuer à l’accompagner, même s’il fallait en
juillet 1997 relever le défi de créer un Institut sans salaire personnel, sans
équipe et sans budget.
L’aide
du Grand-Duché de Luxembourg
Les discussions fructueuses entamées avec le
gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, dès 1995, par Madame la Ministre
Erna Hennicot-Schoepges, ont heureusement abouti avec succès en 1998 à un
accord politique bilatéral, ceci grâce au travail diplomatique inlassable de
Guy Dockendorf, puis à la mise en place d’un Accord Partiel élargi, à la
naissance duquel le Grand-Duché de Luxembourg a également apporté son aide
majeure avec force et continuité.
Ayant accueilli depuis 1992 la plupart des itinéraires culturels dès leurs prémisses, je n’ai pas de préférence marquée. Mais je garde le souvenir particulièrement vif des études de cas et de bonnes pratiques demandées par le Conseil d’Orientation.
Ils ont en effet permis à de jeunes Européens de
plusieurs pays de lire ensemble un paysage comme l’expression d’un « jardin planétaire » ou de
confronter leurs cultures religieuses lors des cinq sessions du « Collège de la citoyenneté européenne »
et de se faire ainsi les meilleurs ambassadeurs du programme et du dialogue
entre les peuples.
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